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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

Droits de la défense et accès au dossier pénal : l’annulation de l’article D.593-2 du Code de procédure pénale par le Conseil d’État

Dernière mise à jour : 6 oct.

CE, 24 juill. 2024, n°464641, n°464848


Deux associations de magistrats demandaient au Conseil d’État l’annulation de plusieurs articles du décret n°2022-546 du 13 avril 2022 dont l’article 10 permettant aux avocats la réalisation de copies « home-made » du dossier pénal.


Le Conseil d’État par arrêt du 24 juillet 2024 fait droit à cette demande. Le grief retenu est celui de l’incompétence de l’Administration dont le décret empiétait sur le domaine de la loi. Si le raisonnement du juge administratif est classique (I) les conséquences de cette annulation sont plurielles tant pour les juges que pour les auxiliaires de justice (II).


I. Une atteinte avérée à la hiérarchie des normes


L’article D.593-2 du Code de procédure pénale (CPP) issu de l’article 10 visé par le recours décrétait que « l'avocat, son associé ou son collaborateur (...), peut, à l'occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographies ». Cette prérogative pour l’avocat valait lorsque ce dernier pouvait demander une copie du dossier pénal ou le consulter vu les articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du CPP mais également dans le cadre des procédures des articles 41-1 à 41-3-1 A du même Code.


Selon les requérants, l’article attaqué constitue un empiètement sur le domaine réservé de la loi par l’article 34 de la Constitution. En effet, il ne se bornerait pas à prévoir les modalités d’application des textes législatifs en vigueur (ceux précités). En ce sens, le Conseil d’État retient que les articles attaqués ont « fixé des règles nouvelles et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d’application des règles déjà fixées en ce domaine par le législateur » (pt.22).


Pour ce faire, le Conseil retient d’une part que si la volonté du législateur consiste, dans certains domaines, en ce que l’avocat puisse recevoir une copie du dossier pénal par l’intermédiaire d’une autorité compétente, il n’a pas entendu permettre à l’avocat de réaliser lui-même la copie dudit dossier (pt. 20). D’autre part, quant aux procédures des articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du CPP, le législateur, plus restrictif, ne prévoit que la possibilité de consulter le dossier et proscrit dès lors la copie de ce dernier par une autorité compétente, a fortiori par l’avocat lui-même... (pt. 21). Enfin, concernant les procédures des articles 41-1 à 41-3-1 A du CPP, la loi n’ayant apporté aucune précision quant à l’accès au dossier par l’avocat, l’Administration ne pouvait se substituer au législateur et en prévoir (pt. 22). Par conséquent l’article 10 du décret encourt l’annulation au motif de l’incompétence de l’administration.


Si cette annulation était somme toute logique, elle reçoit pourtant un accueil mitigé.


II. Les conséquences pratiques de l’annulation


Les associations de magistrats ayant introduit ce recours devant le Conseil d’État mènent depuis quelques mois un réel combat contre l’empiètement du pouvoir exécutif dans le domaine législatif ayant trait à la justice et contre le non-respect de la hiérarchie des normes {1}. Pour elles, cette décision s’entend comme une nette victoire.


Pourtant, du côté des avocats, la décision retentit comme un immense pas en arrière. Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière de Paris, en réaction à cette décision sur les réseaux sociaux, rappelait que le scan du dossier pénal constituait « une avancée majeure pour notre profession et pour les droits de la défense ». La Conférence des bâtonniers {2} pointait ainsi les « énormes conséquences quant à l’exercice des droits de la défense, porte préjudice aux intérêts des justiciables ainsi qu’à l’exercice professionnel des avocats ». Cette décision paraît, dans ses effets, tant en contradiction avec le temps de la justice rythmé par l’avènement de la justice pénale numérique et par la volonté de désengorger les services des tribunaux. Les avocats, en pratique, devront donc à nouveau accuser des délais incompressibles des greffes surchargés...


Face aux critiques, le Président de l’Union syndicale des magistrats, Ludovic Friat, pointe la responsabilité du gouvernement et regrette que la procédure pénale n’ait pas été traitée comme elle aurait dû l’être, par l’intervention de la loi {3}.


Il convient toutefois de noter qu’en l’espèce le juge administratif s’est limité au strict contrôle de légalité dont il a la charge. Il ne lui revenait en aucun cas d’apprécier l’opportunité de la situation et, face à un tel empiètement sur le domaine de l’article 34 de la Constitution, il ne pouvait qu’annuler les dispositions attaquées. C’est d’ailleurs dans le cadre de ce strict contrôle de légalité que le Conseil d’État refusera la demande de question préjudicielle à la Cour de Cassation formulée par les requérants (pt. 3). Néanmoins, conscient de la portée de sa décision, le Conseil d’État fait application de sa jurisprudence AC ! {4} en aménageant les effets de sa décision de sorte qu’elle ne s’applique pas rétroactivement (art. 3 du dispositif).


La réponse doit désormais être apportée par le législateur dans le strict respect de la hiérarchie des normes. Les instances du barreau {5} ainsi que les syndicats d’avocats ont affirmé tre mobilisées auprès du législateur pour que les anciennes dispositions de l’article 10 du décret du 13 avril 2022 soient reprises par la loi.


Léo PEDRO



 

{1} USM, communiqué du 24 juillet 2024, se félicitant « d’agir contre toute tentative de l’exécutif d’empiéter sur le domaine législatif ou d’infléchir la hiérarchie des normes, tentatives qui pourraient se multiplier face à une assemblée nationale sans majorité »

{2} La Conférence est une institution au service des Bâtonniers et des conseils de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions au quotidien. Elle dispose également d’une légitimité lui garantissant une fonction représentative pour les avocats auprès du grand public.

{3} Lextenso., Tribune « Recours contre le décret du 13 avril 2022 : « L’USM a agi en responsabilité » déclare Ludovic Friat », actu-juridique.fr.

{4} Conseil d'État, ass., 11 mai 2004, Association AC ! et autres, Publié au recueil Lebon.

{5} Notamment, le Conseil National des barreaux, la Conférence du barreau de Paris, la Conférence des bâtonniers ainsi que plusieurs conseils de l’ordres en France.

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