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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

Brève : Vers un premier procès pour le crime de génocide commis par des ressortissants Français de l’État Islamique à l’encontre des yézidis en Syrie et en Irak

TJ, Paris, pôle crimes contre l’humanité, octobre 2024, ordonnances consultées par l’AFP. 


Ndlr : Pour des raisons de sécurité, l’identité des mis en cause ne sera pas clairement dévoilée. L’ensemble des éléments découlent des informations délivrées par l’AFP après consultation des ordonnances. 



Le 24 septembre et le 8 octobre 2024, le juge d’instruction du tribunal judiciaire de Paris a renvoyé deux individus de nationalité française ayant rejoint l’organisation État islamique{1} devant la cour d’assises pour – notamment – des faits de génocide. 


Il s’agit respectivement de Sonia M., renvoyée devant la cour pour des faits de réduction en esclavage d’une adolescente yézidie pendant plus d’un an et de Sabri E., présumé mort depuis 2018, poursuivis pour des faits commis à l’encontre de 11 femmes et enfants yézidis en Syrie et en Irak entre 2014 et 2016, notamment des « viols et sévices » pouvant « s'analyser comme des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique constitutives du crime de génocide » selon le Parquet national anti-terroriste (Pnat){2}


La justice française devra d’abord faire face à un obstacle, juger un homme « présumé mort » (I) avant de statuer, pour la première fois de son histoire, sur des faits de génocide à l’encontre des Yézidis (II) commis par des ressortissants Français (III). 



  1. Juger un “mort” ? 


En principe, conformément à l’article 6 du Code de procédure pénale (CPP), « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort ». Par conséquent, le ministère public ne saurait poursuivre des faits dont l’auteur serait décédé. En effet, le principe de personnalité des poursuites prévu à l’article 121-1 du Code pénal s’oppose à ce que l’action soit reconduite à l’égard d’un héritier de l’auteur décédé.


art. 121-1 C.pén. : « Nul n’est responsable que de son propre fait »

Néanmoins pour que l’article 6 précité soit mobilisé, encore faut-il que le mis en cause soit bel et bien mort aux yeux de la justice. La question des terroristes « présumés morts » suscite bien des questionnements. « Maintenant on va juger les morts ?! » titrait ainsi Antoine Mégie en 2021{3}. En effet, l’action publique ne peut s’éteindre qu’à condition que soit prouvé le décès de l’auteur des faits. Si ce point, de manière générale, ne pose aucune difficulté, le cas des terroristes s’étant exilés demeure complexe. Procéduralement, la juridiction de jugement  rendra une décision dite « par défaut » {4}, c’est-à-dire sans que l’accusé ne soit présent. La cour d’assises aura sûrement à se prononcer sur cette question. En attendant, il faut garder à l’esprit que les juges d’instruction n’ont pas considéré que la mort avait été sérieusement démontrée. 


Une dernière question peut être posée : pourquoi juger un homme présumé mort ? Deux observations à ce titre. La première va sans dire, est l’idée selon laquelle, si l’auteur n’est en réalité pas mort, il convient de le juger. La seconde poursuit un objectif qui pourrait être qualifié de sécuritaire{5}. En effet, il semble exister un réel danger du potentiel retour, sur le territoire français, de ces « présumés morts ». Le cas le plus médiatique fut notamment le retour d’Omar D., chef de file de la propagande djihadiste qui était réapparu alors qu’annoncé mort quelques mois avant{6}. Dans la poursuite de cet objectif, le mandat d’arrêt assorti d’une condamnation demeure la solution la plus efficace pour réduire le risque d’un retour libre sur le territoire national. 



  1. Les crimes contre les Yézidis en Irak : quid de la qualification pénale ? 


Les Yézidis sont une minorité ethnique et religieuse d’Irak qui, entre 2014 et 2017, a été la cible d’un projet d’extermination porté par l’État islamique. Il est notamment question de 5.000 à 10.000 morts, de conversions forcées, de viols, d’enlèvements d’enfants, des séquestrations et d’esclavagisme sexuel. Les Nations-Unies {7}, le Conseil de l’Europe{8} ainsi que plusieurs États de l’Union européenne ont qualifié ces faits de génocide {9}. Le 30 novembre 2021, le tribunal régional supérieur de Francfort fut le premier à condamner pour génocide un ancien membre de l’État islamique pour avoir acheté une femme et sa fille yézidies réduites  en esclavage. 


En droit pénal français, le crime de génocide conformément à l’article 211-1 du Code pénal, est le fait « en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe » arbitrairement déterminé « de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe » plusieurs crimes dont notamment les atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, des transferts forcés d’enfants… La commission de cette infraction est punie de la réclusion criminelle à perpétuité. Il convient également de préciser que le plan concerté visé ne doit pas nécessairement être imputable à une organisation étatique et peut « s’entendre comme le fait d’un groupe informel » {10}. Pour rappel, les faits poursuivis en l’espèce sont notamment des viols, des sévices ainsi que la réduction en esclavage de femmes et enfants yézidis durant la période 2014-2017. 


En amont de toute décision intervenue au fond, notons l’existence d’une difficulté importante quant à la preuve dans le cadre des crimes contre l’humanité commis à l’étranger mais jugés en France. En effet, la preuve étant libre {11}, on observe souvent en la matière des preuves par témoignages dont il appartient aux juges du fond d’en juger le sérieux. Selon l’AFP, l’ordonnance de mise en accusation précise, qu’en l’espèce, « les actes matériels que Sabri E. a commis étaient en cohérence totale avec son adhésion à la politique génocidaire de l'état islamique qui légitimait l'achat et la revente de femmes et d'enfants yézidis, leur enfermement, leur réduction à un statut servile et les nombreux viols commis à leur encontre ». 


  1. Des ressortissants français poursuivis pour génocide : une première 


Jamais encore des ressortissants français n’avaient été poursuivis en France pour le crime de génocide. En effet, les grands procès d’après-guerre (Papon, Touvier, Barbie) retenaient le chef de crime contre l’humanité et non de génocide puisque celui-ci ne sera introduit en tant qu’infraction dans le droit pénal français et international que dans les années 90 {12}. Le renvoi devant la cour d’assises de Paris des deux accusés Français pour le crime de génocide concernant des faits commis à l’encontre des Yézidis en Irak et en Syrie est donc une première en France. 


Pour rappel, la justice française avait déjà pu connaître d’affaires de génocide – et entrer en voie de condamnation pour ce crime - notamment à propos de plusieurs agents Rwandais{13}.


Léo PEDRO


 

{1} Selon Universalis “D’abord connu sous le nom d’État islamique en Irak et au Levant (EIIL ; al-Dawlah al-Islāmiyyah fī al-ʿIrāq wa al-Shām en arabe, abrégé Dāʿash ou Daesh), ce groupe d’insurgés sunnites, qui opère principalement dans l’ouest de l’Irak et l’est de la Syrie, s’autoproclame État islamique en juin 2014”. Pour plus de précisions lire : https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-islamique-daech-daesh/ . “L’organisation revendique de nombreux attentats meurtriers comme les attentats à Paris, en Catalogne, à Bruxelles, Londres, Sousse, Orlando ou encore l’attaque du Thalys selon le Courrier international (https://www.courrierinternational.com/sujet/etat-islamique-daech

{3} Antoine Mégie, « « Maintenant on va juger les morts ?! » Ethnographie des procès du terrorisme à l’épreuve des « présumés morts » », Cultures & Conflits, 121 | 2021, 15-34 

{4} V. Art. 487 et s. du Code de procédure pénale.  

{5} Antoine Mégie, op.cit (1)  

{6} Antoine Mégie, op.cit (1)  

{7} Selon le chef de l’équipe d’enquête des Nations Unies chargée d’amener Daech/Etat islamique en Itak et au Levant à répondre de ses crimes (UNITAD) dans un discours prononcé devant les membres du Conseil de sécurité le 10 mai 2021. 

{8} Commission des questions juridiques et des droits de l’homme « Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité voir le possible génocide commis par Daech » Déclassifié* AS/Jur (2017) 07 25 avril 2017 fjdoc07 2017 

{9} Notamment les Pays-Bas et la Belgique en 2021, le Luxembourg en 2022 et l’Allemagne en 2023. En 2024, une loi a été déposée en France pour reconnaître l’existence d’un tel crime.  

{10} Cour d’assises de la Seine-Saint-Denis, 3 décembre 2016, n°51/2016 « Les actes tombant sous les qualifications susmentionnées (crimes contre l’humanité) doivent revêtir un aspect organisé qui peut être déduit de l’ampleur du crime. Ainsi, sans qu’il soit besoin de prouver l’implication d’une autorité étatique, le plan concerté peut s’entendre comme le fait d’un groupe informel, éventuellement organisé, mais distinct de toute autorité ». 

{11} Art. 427 du Code de procédure pénale « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction ». 

{12} À ce sujet, notons que le crime de génocide en tant que tel n’existe pas dans l’incrimination initiale des crimes contre l’humanité après la seconde guerre mondiale (not. Art. 6 c) du Statut du Tribunal Militaire International) et n’est introduit qu’en 1994 dans le Code pénal et en 1998 au sein du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. 

{13} V. not Cour d’assises de Paris, 14 mars 2014 n°13/0033 concernant la condamnation pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité de Pascal Simbikangwa pour des faits commis à Kigali (acquitté concernant les faits commis dans la préfecture de Gisenyi). V. Aussi Cour d’assises de Paris, 30 octobre 2024 concernant la condamnation d’Eugène Rwamucyo. 


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