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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

Conclusion : les 30 ans du Code pénal

Propos généraux. Succédant au Code napoléonien, le Code pénal de 1994 fut qualifié de « monument législatif » par Robert Badinter qui sera initialement nommé à la présidence de la commission de révision. 30 ans après son adoption, quel est le bilan ?  Le Code pénal de 1994 a évolué au rythme du pouls sociétal. Entre nouvelles intolérances, évolution des mœurs, nouvelles technologies ou encore l'émergence des préoccupations environnementales, la loi pénale est le reflet des attentes et des nouveaux enjeux émergeants. Dans une logique de réactivité aux maux du peuple, cet outil qu’est la loi pénale demeure essentiel pour subvenir aux carences dénoncées par le peuple et pour parfaire la démocratie comme Abraham Lincoln aimait la définir en tant que « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. » 


Critiques diverses. Par ailleurs, la réforme législative n’est pas sans règle. Le législateur a pour mission de rendre la loi claire et intelligible conformément aux exigences du Conseil constitutionnel : « les faits matériels susceptibles de caractériser un acte préparatoire sont également définis avec suffisamment de précision pour que les comportements incriminés soient clairement identifiables » {1}. Au-delà de ces exigences rédactionnelles imposées, il peut être reproché au législateur, de ne pas considérer la dispersion du droit pénal dans les différents codes. Ainsi, l’inefficacité des textes a largement pu être constatée en raison de l’exploitation, parfois exacerbée, de l’outil répressif. Cela est souvent cause de doublons, et d’incohérences dans la lecture législative. D’autant plus que le droit pénal n’est pas exclusivement consacré dans le Code pénal, des infractions sont ainsi consacrées dans le code du travail, code monétaire et financier, ou encore dans le code rural, notamment pour des infractions relatives au droit pénal de l’environnement. 


Nouveaux enjeux. En parallèle du Code pénal et de ses textes, de nouveaux droits et libertés fondamentales ont émergé, consacrant de nouvelles matières à approfondir, comme le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par la charte de l’environnement adoptée en 2004 {2}. À ce titre, il appartient au législateur de construire toute la réponse pénale en lien avec ce nouvel objectif, notamment avec la création de nouvelles infractions telles que l’écocide {3}, ou celles qui visent à encadrer les quotas de pêche, de chasse, les interdictions liées aux espèces, etc… 


L’ère du numérique. De la même manière, l’évolution de la technique et des technologies s’accompagne d’une réponse pénale qui fait face à de nouveaux enjeux. Notamment, avec l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) permettant de traiter des informations numériques et de les transmettre. Les nouvelles technologies ont pu permettre de faciliter la commission de certaines infractions en ligne, telles que le harcèlement, la pédopornographie, l’apologie du terrorisme, mais cela permet encore de dissimuler leurs auteurs. Ainsi, l’usage de ces technologies a pu être reconnu comme circonstance aggravante. Récemment, c’est l’Union européenne qui a adopté le Digital Services Act (DSA) qui doit permettre, par le biais de l’algorithmes, d’empêcher la diffusion de certains contenus illégaux, mais aussi de mettre en place plus de transparence. Sur cette transparence, il est important de préciser qu’elle concerne notamment les moyens par lesquels les plateformes traitent le signalement de certains contenus. Ainsi, la répression se voit complétée par une prévention accrue. Et c’est ce qu’exigent ces nouveaux défis qui échappent parfois à l’outil répressif. 


Nouvelles technologies et compétences territoriales. Aussi, cette nouvelle ère tend à pousser les murs des compétences territoriales des États, puisqu’internet n’a pas de frontières. En Allemagne, il existe ainsi une compétence territoriale étendue, le point d’honneur est porté sur les effets de l’infraction, sans nécessairement s’intéresser à la localisation de commission. D’autres pays usent de la théorie de l'ubiquité (=L'infraction se trouve à la fois localisée au lieu de l’émission et de la réception lorsqu’un résultat est attendu.), comme la France qui a pu en user lors d’une enchère sur des objets nazis aux États-Unis en 2004 {4}. D’autres usent de la compétence universelle. Ainsi, il appartient au législateur national de consacrer ces nouvelles règles compétences, inscrivant le Code pénal de 1994 dans une époque où l’innovation technologique est en plein essor.  


Défis sociaux, mœurs et Code pénal. Le Code pénal semble être le reflet des tendances populaires, même avant 1994. C’est un texte qui a vocation à évoluer avec son temps. Il paraît indispensable de citer certaines dispositions qui justifient de ces progrès : l’abolition de la peine de mort {5}, la dépénalisation de l’homosexualité {6} (que l’on doit toutes les deux à Robert Badinter), la dépénalisation et la consécration du droit à l’interruption volontaire de grossesse {7}. Ainsi le Code pénal de 1994 cèdera peut-être lui aussi aux nouvelles revendications populaires, comme la prohibition de l’inceste {8}, seulement consacrée dans le Code civil.


Et après ? Le Code pénal de 1994 est loin d’avoir trouvé une version définitive, et fort heureusement. Après 30 années de bons et loyaux services, avec l’évolution de la criminalité, le Code pénal étend sa palette de valeurs sociales à protéger. Ainsi, sera-t-il amené à continuer l’encadrement du progrès technologique ou à suivre l’Italie, qui a pu interdire l’usage de ChatGPT sur son territoire ? {9} Aussi, le Code pénal va-t-il relever le défi du progrès scientifique en devant un jour créer un régime relatif à l’eugénisme, plutôt que de maintenir une position abolitionniste ? Comment le législateur va-t-il adapter la loi pénale aux nouveaux enjeux liés à la libération de la sexualité, face à la prostitution ou au sadomasochisme ? {10}


Conclusion. Le Code pénal est un chantier perpétuel qui est conçu pour évoluer en lien avec la société qu’il protège. Pour finir, les mots d’Yves Mayaud {11} à l’occasion du bicentenaire du Code pénal {12} résonnent toujours à l’occasion de cette étude :


« L'intitulé de notre intervention nous place au cœur d'une réalité qui ne surprendra pas les juristes. Le droit est en perpétuel mouvement, porté par des besoins d'évolution d'autant plus sensibles, qu'il se doit de traduire les attentes d'une société toujours en quête de réponses, angoissée qu'elle est par le spectre du « vide juridique » ... »


Et pour lui rendre hommage une énième fois, les mots de Robert Badinter, porteur du projet de notre actuel Code pénal lors de son discours le 19 décembre 1985 {13} : 


« Le nouveau Code pénal doit exprimer les valeurs de notre société. Les incriminations qu’il formule, les peines qu’il comporte doivent être en harmonie avec la conscience collective.  C’est la dimension morale du Code pénal. Elle donne à l’élaboration de la loi pénale son originalité et sa difficulté, notamment dans une société aussi complexe que la société française. »



Valentine PIC

 

{1} Décision n° 2017-625 QPC du 7 avril 2017, se basant sur les articles 34 de la Constitution et 8 de la DDHC

{2} CE, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy {3} Sur cette question, voir l’article “Écocide, où en est-on ?”, publié par Mathilde Sauer

{4} TGI Paris, 17e ch., 26 févr. 2002 ; CA Paris, 11e ch., 17 mars 2004, n° 03/01520 {5}  Loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort 

Sur cette question, voir l’article “Pourquoi la peine de mort est et doit rester enterrée”, publié par Gladys KONATÉ {6} Loi n°82-683 dite « Forni » du 4 août 1982

{7} Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, dite loi « Veil ». {8} Hors les cas de circonstances aggravantes dans les infractions sexuelles.

{10}  Sur cette question, voi l’article “Liberté sexuelle et droit pénal : la prostitution”, publié par Valentine Pic

{11} Agrégé des facultés de droit, professeur à l'Université de paris II


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