Si vous deviez décrire le métier de professeur en trois mots ?
Service public, indépendance, polyvalence.
Pourquoi avez-vous souhaité devenir professeur ?
J’ai souhaité exercer le métier d’enseignant-chercheur parce que j’ai progressivement découvert au cours de ma thèse qu’il était passionnant en ce que les activités y sont très diversifiées et on ne s’ennuie jamais (sauf peut-être devant un immense tas de copies à corriger). J’aime autant l’enseignement et le contact avec les étudiants que le fait d’effectuer des recherches seule à la bibliothèque ou derrière mon écran d’ordinateur.
Quel parcours avez-vous suivi pour devenir professeur ?
Après un DEUG, une Licence puis un Master en droit pénal et sciences criminelles, je me suis lancée dans l’aventure de l’écriture d’une thèse. Après mon doctorat, j’ai réussi le concours d’agrégation et obtenu un poste de Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, devenue Université de Bordeaux, mon établissement d’origine.
Quelles sont les qualités essentielles que doit avoir un professeur ?
D’abord, la vocation, parce que pour bien faire son travail, il faut avoir à cœur l’intérêt des étudiants et le bon fonctionnement de l’Université. Ensuite, la patience avec les étudiants, mais aussi avec les collègues ! Enfin et surtout, l’organisation. Chaque enseignant-chercheur doit partager son temps entre des dizaines de tâches différentes avec des échéances variées et il faut arriver à penser à tout, ou en oublier le moins.
Quelles sont les matières que vous enseignez ? Avez-vous toujours enseigné ces matières ou bien votre spécialité a-t-elle changé au fil du temps ?
J’enseigne principalement le droit pénal au sens large : droit pénal général, droit pénal des affaires, procédure pénale. Mais aussi le droit européen des droits de l’homme. Il y a quelques années j’enseignais aussi le droit de la famille, par choix, mais c’est difficile de se tenir à jour sur plusieurs matières. J’ai aussi enseigné le droit des sûretés mais pas vraiment par passion, c’était très difficile. Pourquoi avoir choisi l’enseignement de ces matières ? Je suis passionnée par la matière pénale donc c’est assez naturel. De manière générale j’aime les sujets de société et donc le droit pénal s’y prête particulièrement.
Si vous deviez décrire une journée / semaine type, à quoi ressemblerait-elle ?
C’est la question la plus difficile. Il y a d’abord la partie « enseignement » qui est la plus contraignante en termes d’emploi du temps. Les années universitaires sont rythmées par différents cycles : rentrée, cours, examens, confection d’exercices et de sujets d’examens, corrections de copies, jurys de délibération, etc. A côté de cela, chaque enseignant chercheur a plus ou moins d’activités. En général on participe à la vie de son centre de recherche et donc des activités de recherche collective ; nous avons aussi des articles à rendre, parfois même des manuels en préparation. Il faut aussi encadrer les mémoires des étudiants de Master 2 et les thèses des doctorants. S'ajoutent à cela différentes fonctions administratives de gestion de diplôme ou autre, qui impliquent de nombreuses réunions pour la vie de l’Université. Le pire est la gestion quotidienne des mails. A titre personnel j’en reçois environ une trentaine par jour, et je suis loin d’être la plus à plaindre. Donc il faut du temps pour répondre à tout le monde…
Quels conseils donneriez-vous à un étudiant voulant devenir professeur ?
Il faut être bien conscient que c’est un parcours du combattant pour obtenir un poste de maître de conférences ou de professeur et donc il faut savoir exactement ce à quoi on s’engage. Il ne faut pas vouloir accéder à cette profession pour l’argent. Même si nous ne sommes pas à plaindre et qu’il y a de nombreux avantages à être fonctionnaire, cette profession est moins lucrative que d’autres (avocat associé dans un cabinet qui tourne bien par exemple).
Quels sont les avantages et les inconvénients du métier de professeur ?
L’avantage essentiel pour moi est la liberté et l’indépendance. Je n’ai pas vraiment de « chef » ; même si je suis fonctionnaire et doit donc me plier aux nécessités du service public, il n’y a personne pour me dire quoi faire ou ne pas faire. Je m’organise comme je veux et je dis ce que je pense, cela n’a pas de prix. Pour les inconvénients, le premier est lié à la liberté évoquée précédemment. Qui dit liberté de s’organiser dit aussi très souvent travail chez soi le soir et le week-end, donc il faut essayer de concilier le mieux possible vie professionnelle et vie familiale. Au-delà de cet aspect, le principal inconvénient selon moi est de travailler dans des conditions peu optimales pour les étudiants à cause du manque de moyens dans les Universités (c’est vrai pour tous les services publics). Les enseignants chercheurs ont souvent des idées pour renouveler leurs pratiques pédagogiques et mieux préparer les étudiants, mais cela est très difficile à mettre en place.
Avez-vous eu des désillusions par rapport à la profession ?
Par rapport à la profession, non. Par rapport à l’Université, oui ! Le faible engagement de l’Etat me désole. J’ai l’impression que les filières non sélectives telles que la Licence en droit sont le parent pauvre de l’enseignement supérieur. Comme il faut accueillir tout le monde, on accueille tout le monde, même des étudiants qui n’ont rien à faire là. Mais les effectifs et les différences de niveau sont tels qu’on ne peut ni sauver les plus faibles ni vraiment faire progresser les plus forts. On pourrait en débattre longuement…
Et de belles surprises ?
Chaque année, je trouve des étudiants formidables, en toute sincérité. Ce que j’affectionne le plus c’est lorsque des étudiants m’abordent dans la rue en me disant qu’ils me reconnaissent parce qu’ils m’ont eue en cours quelques années auparavant, et qu’ils sont désormais insérés sur le marché du travail et tout contents. Je suis heureuse d’avoir pu, à ma mesure, contribuer à leur réussite.
Nous remercions Mme Charlotte Claverie-Rousset pour avoir bien voulu répondre à nos questions
Cette interview a été publiée pour la première fois dans la revue n°4, en mars 2019
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