Ce commentaire d'arrêt a été publié pour la première fois par Pierre-François LASLIER, en décembre 2018, dans La Revue n°3.
Conseil Constitutionnel, 14 septembre 2018 (n° 2018-730 QPC)
Présentation -. Le 20 juin 2018, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Chambre criminelle de la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du Code de procédure pénale relatives aux majeurs protégés[1]. Parmi ces dispositions, c’est notamment l’article 706-113 du Code de procédure pénale qui a attiré l’oeil de la juridiction constitutionnelle. En effet, le requérant[2] arguait que cet article méconnaissait les droits de la défense au motif, qu’en cas de placement en garde à vue d’un majeur protégé, il n’impose pas à l’officier de police judiciaire d’aviser son curateur ou son tuteur, ainsi que le juge des tutelles, et que cette absence de garantie ne saurait être suppléée, lors de son placement en garde à vue, par la seule notification de son droit de faire prévenir son curateur ou son tuteur. Se posait donc la question de la constitutionnalité de cette disposition du Code de procédure pénale. Par sa décision rendue le 14 septembre 2018, le Conseil constitutionnel fait droit au requérant en considérant que l’article contesté n’imposait aucune obligation aux officiers de police judiciaire, lors de la garde à vue, d’avertir le curateur ou le tuteur du majeur protégé, et donc qu’il méconnaissait les droits de la défense.
Question prioritaire de constitutionnalité -. Avant même de s’interroger sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel, il peut être intéressant de présenter brièvement la question prioritaire de constitutionnalité. Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, chaque personne qui est partie à un procès ou une instance peut soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que le Constitution garantit, le requérant soulève alors une question prioritaire de constitutionnalité. Pour ce faire, le requérant doit transmettre cette question aux juges du fond (juges de première instance ou juges d’appel), puis cette question est transmise soit au Conseil d’État soit à la Cour de cassation, selon la nature de la juridiction devant laquelle la question a été posée[3]. Par la suite, le Conseil d’État ou la Cour de cassation procède à son tour à un examen de la recevabilité de la question, et décide de la transmettre ou non au Conseil constitutionnel. Enfin, le Conseil constitutionnel peut décider de déclarer inconstitutionnelle la disposition contestée. Dans ce cas, la disposition déclarée inconstitutionnelle est abrogée à compter de la publication de la décision[4]. Cependant, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter dans le temps cette abrogation afin de permettre au législateur de modifier l’article contesté[5]. En effet, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de modifier la loi litigieuse, seul le législateur est compétent pour le faire.
Historique sur les dispositions relatives aux majeurs protégés -. Le majeur protégé est celui qui est placé « sous l’un des trois régimes de protection prévus par la loi (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice), en raison d’une altération de ses facultés personnelles »[6]. Autrement dit, les majeurs protégés ne peuvent exercer en toute lucidité leurs droits à raison d’une altération de leurs facultés mentales ou corporelles. Dès lors, afin qu’ils puissent pleinement bénéficier de leurs droits, les majeurs protégés se voient assistés d’un tuteur ou d’un curateur, ces derniers assurant l’exercice de leurs droits. Pour rappel, le tuteur assure une fonction de représentation du majeur, alors que le curateur assiste ce dernier.
En matière pénale, historiquement, le Code de procédure pénale était silencieux sur le cas des personnes qui faisaient l’objet d’un régime de protection, à tel point que ces dernières étaient jugées comme tout justiciable doté de sa capacité juridique. Dès lors, les tuteurs ou curateurs de ces personnes n’étaient pas pris en compte par la procédure pénale, de telle sorte qu’ils n’étaient pas informés de la procédure en cours et n’accompagnaient pas ces personnes aux audiences pénales. Par la suite, la France a fait l’objet d’une condamnation de la part de la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire Vaudelle au motif que le droit français ne permettait pas d’assurer aux majeurs protégés un droit à un procès équitable[7].
Le 5 mars 2007, le législateur a intégré dans le Code de procédure pénale des dispositions relatives aux majeurs bénéficiant d’un régime de protection afin de promouvoir les droits de la défense de ces personnes. A titre d’exemple, le curateur ou le tuteur est désormais avisé des poursuites dont la personne fait l’objet, de la date d’audience ou encore des décisions rendues (8). Néanmoins, et comme le Conseil constitutionnel l’indique dans sa décision, il demeure des imperfections dans le régime de protection des majeurs protégés.
Analyse de la décision du Conseil constitutionnel du 14 septembre 2018 -. Par sa décision du 14 septembre 2018, le Conseil constitutionnel déclare que le premier alinéa de l’article 706-113 du Code de procédure pénale n’est pas conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment les droits de la défense. En effet, selon cet article, l’information obligatoire du tuteur ou du curateur ne s’appliquait qu’une fois que des poursuites étaient engagées. Or, avant l’engagement des poursuites, la personne peut faire l’objet de mesures coercitives, telle que la garde à vue, ici aucune poursuite n’est engagée par le procureur de la République. Dès lors, à cette phase de la procédure, aucune obligation ne pèse sur les officiers de police judiciaire quant à l’information du tuteur ou du curateur du majeur. En outre, comme l’indique le requérant, cette absence de garantie ne saurait être suppléée par l’éventuelle notification du droit au majeur de faire prévenir son tuteur ou curateur. En effet, lors du placement en garde à vue, le majeur est certes informé de son droit à faire prévenir son tuteur, curateur ou avocat[9]. Néanmoins, en raison de l’altération de ses facultés, le majeur ne dispose pas du discernement nécessaire quant à l’exercice de son droit à l’instar de tout justiciable doté d’une parfaite lucidité. Ainsi, au vu de ces éléments, et en se fondant sur l’exigence relative au respect des droits de la défense, le Conseil constitutionnel déclare que, lors de la garde à vue, l’absence d’obligation légale quant à l’information du tuteur ou du curateur du majeur protégé est inconstitutionnelle. Par cette décision satisfaisante, le Conseil renforce un peu plus les droits de la défense attachés aux majeurs protégés, et plaide pour une adaptation de la procédure pénale à la situation de ces personnes.
En effet, les majeurs protégés voient leur discernement altéré et donc réduit, ils ne peuvent donc exercer correctement les droits qui leur sont conférés. Afin de préserver les intérêts de ces personnes, il est primordial d’astreindre les officiers de police judiciaire à informer leur tuteur ou curateur afin de bénéficier d’une entière et effective défense, d’autant plus que la procédure pénale comporte des incidences majeures sur la liberté individuelle. Dès lors, la décision du Conseil ne peut être que comprise et saluée.
Effets futurs de la décision du Conseil constitutionnel -. Par prudence, le Conseil constitutionnel a décidé de reporter l’abrogation de cette disposition dans le temps. En effet, ce n’est pas le contenu de cet article qui est remis en question, mais son domaine particulièrement étroit dans la mesure où il ne s’applique qu’après l’engagement des poursuites, et non pas avant. Dès lors, une abrogation immédiate aurait eu pour fâcheuse conséquence de faire disparaître l’obligation d’informer le tuteur ou le curateur en cas de poursuites pénales. A ce titre, le Conseil décide donc de reporter les effets de sa décision au 1er octobre 2019, et laisse le soin au législateur, jusqu’à cette date, de modifier l’article en question afin d’élargir les droits du majeur protégé en phase d’enquête, donc avant l’engagement des poursuites. Ainsi, le législateur devra s’efforcer de mieux préserver les intérêts du majeur protégé durant l’enquête, et donc de prévoir l’information obligatoire du tuteur ou du curateur dès le début de la garde à vue.
Cependant, il est envisageable de se demander si d’autres droits spécifiques aux majeurs protégés ne devraient pas être reconnus dès le début de la garde à vue à l’instar de l’information du curateur ou du tuteur. A titre d’exemple, après les poursuites, le majeur protégé doit obligatoirement être assisté par un avocat[10], il devrait en être de même en ce qui concerne le moment où aucune poursuite n’a été engagée.
De manière générale, cette décision a été l’occasion pour le Conseil constitutionnel de renforcer et d’adapter au mieux la situation des majeurs protégés dans le cadre de la procédure pénale, il ne reste plus qu’à espérer que le législateur suive également cette voie.
Pierre-François LASLIER
[1] Articles 706-112 et suivants du Code de procédure pénale
[2] Personne physique ou morale qui prend l’initiative d’engager une action en justice en vue de faire reconnaître un droit
[3] Droit public et droit privé
[4] Article 62 de la Constitution
[5] Ibid
[6] Vocabulaire juridique de Gérard Cornu
[7] CEDH, 30 janvier 2001, Vaudelle c. France
[8] Article 706-113 du Code de procédure pénale
[9] Article 63-2 du Code de procédure pénale
[10] Article 706-116 du Code de procédure pénale
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