La répression de l’excision en droit pénal français : une lutte pour protéger les femmes et les filles
Pour intensifier la lutte au niveau mondial contre l’excision et tendre à l’élimination complète des mutilations génitales féminines (MGF), l’Assemblée générale des Nations-Unies a, en 2012, désigné le 6 février comme la Journée internationale de lutte contre l’excision. En 2022, la journée a été célébrée sur les réseaux sociaux avec le hashtag #InvestDontRest.
Définition : L’excision se définit, au sens général, comme une ablation du clitoris, parfois doublée d’une infibulation (un rétrécissement de l’orifice vaginal en repositionnant les lèvres), et parfois d’une ablation des petites lèvres, pratiquée chez certains peuples sur les petites filles et jeunes femmes.
"Au sens strict, elle est « une mutilation génitale féminine non motivée par des raisons médicales, pratiquée dans certains pays du monde, [sur des jeunes filles], au nom de la tradition ». "
La mutilation sexuelle, au sens large, se définit comme une « ablation totale ou partielle des organes génitaux externes ». Alors, les termes « excision » et « mutilation génitale » ne peuvent être tenus pour synonymes. Si le second englobe le premier, il est néanmoins plus large que le terme « excision ».
Selon le point de vue adopté, le terme de « mutilation génitale » peut également englober la circoncision. Cette dernière est une opération pratiquée, quant à elle, sur les jeunes garçons et consiste en l’ablation du prépuce. Certains veulent faire croire que cette pratique millénaire est le pendant de l’excision. Pour autant, elle n’est pas juridiquement définie notamment parce qu’elle n’est réprimée ni par le droit pénal français ni par le droit international, en tant que mutilation sexuelle. Elle est tolérée en droit et « ne saurait être assimilée aux mutilations génitales féminines ».
Aussi, la question des mutilations génitales réalisées sur des enfants est liée à l’épineuse question de l’intersexuation. Si la France a été rappelée à l’ordre, à plusieurs reprises par l’Organisation des Nations-Unies, pour ces mutilations, la problématique est ici complètement différente : il s’agit pour le corps médical de tenter de résoudre les problèmes liés aux variations du développement génital ou à l’absence de développement des attributs génitaux de l’enfant au cours de la grossesse (si tant est qu’il y ait, sanitairement, un problème à résoudre et une solution à apporter).
Pour en revenir au sujet qui nous intéresse ici, il convient de souligner que l’excision peut être tenue pour synonyme de l’expression « mutilation génitale féminine ». Celle-là est une pratique coutumière, liée à des facteurs culturels et sociaux, qui ne doit, en aucun cas être rattachée à un quelconque courant religieux. Cette pratique est tirée de la coutume c’est-à-dire de « l’ensemble des modèles de comportement transmis par la tradition et logés dans le groupe ». L’excision, tout comme l’infibulation ou la clitoridectomie, renvoie donc à une image particulière de la femme en ce qu’elles portent atteinte à l’intégrité corporelle et à la dignité des jeunes filles et des femmes. Pour autant, il ne sera pas question, dans cet article, d'émettre un quelconque jugement de valeur ni sur les raisons motivant les auteurs d’excision, ni sur la circoncision d'autant plus que cette dernière pratique n'en est pas le sujet. Il s'agira seulement d'analyser l'état du droit positif, construit en réaction à une jurisprudence interne parfois hésitante et s'appuyant sur des textes internationaux, relativement imprécis.
Enjeux : En tout état de cause, même si cette pratique se concentre principalement dans certains pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient, il s’agit d’un problème universel. D’une part, il s’agit d’un problème d’ampleur car, actuellement, plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes ont été victimes d’excision dans le monde. Parmi ces victimes, près d’un quart sont des mineures de 15 ans. D’autre part, ce problème n’est pas limité à certaines régions du monde. En effet, y compris en Occident, de nombreuses jeunes filles et femmes sont victimes de cette pratique ou risquent de l’être. Pour ce qui est de la France, le nombre de victimes, encore en vie aujourd’hui, est estimé à environ 60 000 femmes qu’elles soient immigrées ou nées sur le territoire national.
Aussi, il convient de souligner que l’excision n’a aucun avantage pour la santé des femmes qui en sont l’objet et n’est justifiée ni par une nécessité thérapeutique ni par un motif sanitaire (TA Lyon, 12 juin 1996). Cette pratique est grandement préjudiciable et peut être la source de complications médicales considérables (douleurs violentes et.ou chroniques, risques d’infections urinaires, gynécologiques, hémorragiques, tétanos, septicémie, répercussions psycho-traumatiques…). Elle peut également entraîner le décès de la victime.
Actualités législatives : En raison de l’ancrage et de l’ampleur du phénomène, le droit international puis la loi pénale française tendent à réprimer les auteurs de cette pratique mutilante. Pour autant, elle est toujours observée pour des raisons non médicales. Alors, depuis le début du XXIème siècle, différentes lois sont intervenues pour préciser le cadre répressif entourant l’excision. En sus de la répression pénale, la France a également mis en place une stratégie globale de lutte, qui comprend des campagnes de sensibilisation, la formation des professionnels de la santé et de la justice, et le soutien aux victimes. Par exemple, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a lancé, le 21 juin 2019, un « Plan national d’action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines ».
Exclusion du sujet : En sus, il faut souligner que l’excision peut être appréhendée par le droit pénal mais peut également l’être au titre du droit d’asile. En effet, selon le Conseil d’État, l'excision peut constituer une forme de persécution au sens de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951. Alors, les personnes fuyant cette pratique peuvent demander le statut de réfugié et bénéficier du droit d'asile en France.
Cette pratique peut par ailleurs être étudiée sous le prisme du droit de la famille. En effet, en cas d’excision, l’autorité parentale peut être considérée comme ayant été exercée de manière abusive, car le parent auteur de la mutilation aurait commis une violation du droit de l’enfant à la santé, à l’intégrité physique, à la protection contre la violence, protégés par la Convention Internationale des droits de l’enfant (CIDE), du 20 novembre 1989. Dans ce cas, l'autorité parentale peut être limitée ou suspendue pour protéger lesdits droits de l’enfant.
Quoiqu’il en soit, il ressort incontestablement que la lutte contre l’excision est une lutte pour la liberté. L’enjeu est alors de protéger la dignité des femmes, de protéger leur intégrité physique contre cette violence imposée par la tradition, de lutter contre les discriminations fondées sur le genre et de répondre à des préoccupations sociales et sanitaires tendant à une égalité réelle entre les femmes et les hommes.
En tant que mutilation sexuelle féminine, l’excision est en effet considérée comme une violation des droits des jeunes filles et des femmes. Alors, si le droit international les protège contre cette pratique (I), le juge français a dû chercher le fondement adéquat à la répression (II) en suite de quoi le législateur a adopté des dispositions protectrices spécifiques (III).
I) La protection au titre du droit international
À l’échelle internationale, la lutte contre l’excision est prise en charge par différents acteurs et particulièrement, par l’Assemblée générale des Nations-Unies. Concrètement, depuis 2008, le Fonds des Nations-Unies pour la Population et l'UNICEF dirigent un grand programme humanitaire de lutte contre l'excision. L’objectif est d’accélérer la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF). Aussi, le 26 novembre 2012, l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté une résolution contre les MGF dans le monde. En sus, l'Organisation Mondiale de la Santé, l'UNICEF, le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés ou encore le Fonds de Développement des Nations-Unies pour la Femme ont considéré que cette pratique s'assimilait à un acte de torture.
À l’échelle régionale, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, le 22 mai 2001, une résolution sur les MGF. Elle affirme dès lors la « prééminence, sur les coutumes et sur les traditions, des principes universels du respect de la personne » et considère que « les mutilations sexuelles doivent être considérées comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne ».
D’ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle régulièrement que les MGF sont des mauvais traitements au sens de l’article 3 de la Convention, notamment dans des affaires concernant des requérantes nigérianes qui opposaient à une mesure d’expulsion qu’elles risquaient d’être excisées si l’asile ne leur était pas accordé.
Aussi, la célèbre Convention du Conseil de l'Europe relative à la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, adoptée le 11 mai 2011 à Istanbul, participe de la protection des femmes contre l’excision. Elle est issue d’une série d'initiatives du Conseil de l'Europe, prises dès les années 1990, pour lutter contre les violences faites aux femmes. Ratifiée par la France le 4 juillet 2014 et entrée en vigueur le 1er novembre 2014, cette Convention impose aux États parties d’adopter des lois pénales efficaces pour réprimer cette pratique (art. 38). Elle recommande aux États de mener des enquêtes exhaustives, d'assurer aux victimes l'accès à la justice et de leur fournir des services de soutien et de protection. Elle est un instrument clé pour la lutte contre l’excision car elle encadre tant la prévention que la répression de cette pratique.
En complément, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, en 2013, une résolution sur le droit des enfants à l’intégrité physique, qui condamne l’excision. Le 8 mars 2022, la Commission européenne a proposé d'édicter des règles impératives dans une directive destinée à lutter contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Elle érige, entre autres, les MGF en infraction pénale.
Par leur récurrence et par leur nombre, les normes internationales luttant contre l’excision soulignent l’importance accordée à la préservation de l’intégrité physique des femmes. Néanmoins, il ressort de la dernière proposition évoquée que le corpus juridique demeure insuffisant pour protéger les victimes, ou qu’à tout le moins, les interdictions ainsi édictées à l’échelle internationale et régionale, ne suffisent pas, en pratique, à éradiquer le phénomène et à protéger les femmes et les filles de cette pratique coutumière.
La loi du 5 août 2013 adapte la législation nationale afin de satisfaire aux exigences posées par la Convention d’Istanbul. Elle intègre dans le droit répressif un dispositif permettant de sanctionner l’excision (III). Pour autant, avant l’entrée en vigueur de cette loi, les juges s’étaient saisis de la question et avaient cherché à déterminer le fondement adéquat à la répression (II).
II) La recherche d'un fondement adéquat en droit pénal
Dans l’objectif de réprimer l’excision, le juge répressif a d’abord envisagé la qualification de torture (A) qui a finalement abandonné au profit de celle de violences volontaires (B).
A. Inapplicabilité de la qualification de torture
Rappel sur l’infraction de torture : L'article 222-1 du Code pénal réprime la torture et les actes de barbarie. S’agissant de l’élément matériel, en l’absence de définition légale, il peut être défini comme la commission d'un (ou plusieurs) acte(s) d'une gravité exceptionnelle qui dépasse de simples violences et cause à la victime une douleur ou une souffrance aiguë. S’agissant de l’élément moral, la caractérisation de l’infraction suppose que l’agent ait la volonté d'accomplir lesdits actes en violation de la loi pénale (dol général) et la volonté de faire souffrir la victime (dol spécial). Cette infraction autonome est réprimée en fonction des conséquences du comportement de l’agent. La peine encourue est de 15 ans de réclusion criminelle (art. 221-1 C.pén.). Elle est portée à 20 ans si le crime est commis sur un mineur de quinze ans (art. 222-3 C.pén.) ou à 30 ans s’il a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (art. 222-5 C.pén.). Ce crime peut être puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsque la victime est décédée (art. 222-6 C.pén.). |
Certains auteurs considèrent que les mutilations sexuelles causent nécessairement des souffrances particulières, dépassant les violences plus classiques. Il ne fait pas de doute que l’auteur de l’excision a voulu commettre ces actes violents. Or, en sus de la volonté de porter atteinte à l’intégrité corporelle de la victime, il faut que l’agent ait eu la volonté d'obtenir un résultat déterminé c’est-à-dire causer à la victime des souffrances intolérables. Mais, les auteurs d’excision agissent pour se conformer à une coutume ancestrale ou pour d’autres mobiles variés (tels que l’augmentation de la fécondité). Ils n’agissent pas pour faire souffrir la femme ou la fille excisée. Alors, en l’absence de caractérisation du dol spécial, cette qualification ne saurait être retenue.
B. Application malaisée de la qualification de violences volontaires
Rappel sur l’infraction de violences volontaires : Les articles 222-7 et suivants du Code pénal répriment les violences volontaires. S’agissant de l’élément matériel, en l’absence de définition légale, il peut être défini comme la commission d’un (ou plusieurs) acte(s) positif(s) de nature à causer une atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime. Il faut qu’un dommage résulte de ces actes matériels c’est-à-dire une atteinte effective à l’intégrité. Il faut également un lien de causalité certain entre l’acte et le dommage. S’agissant de l’élément moral, la caractérisation de l’infraction suppose que l’agent ait la volonté de commettre l'acte incriminé (dol général) et la volonté de porter atteinte à l'intégrité physique ou psychique de la victime (dol spécial). Enfin, cette infraction est réprimée en fonction du préjudice subi par la victime et non en fonction de la gravité du comportement de l’agent. |
S’agissant de l’excision, il ne fait pas de doute que l’agent exciseur a la volonté de porter atteinte à l’intégrité corporelle de la femme ou de la fille victime. En effet, la caractérisation de l’élément matériel des violences volontaires ressort de la définition même de cette pratique. Aussi, la caractérisation du dol général est déduite de la matérialité des faits reprochés à l’agent. La caractérisation du dol spécial ne pose quant à elle aucune difficulté puisque l’agent exciseur cherche évidemment et principalement à porter atteinte à l’intégrité physique de la victime en procédant à l’ablation du clitoris, éventuellement à l’ablation des lèvres, à leur repositionnement, etc. Alors, la qualification de violences volontaires peut être retenue. Toutefois, la qualification précise est dépendante de la gravité du préjudice subi par la victime des suites de l’excision.
Rappel sur les peines : La peine encourue par l’auteur des violences volontaires varie en fonction de la gravité du préjudice subi par la victime. La victime peut être décédée (art. 222-7 C.pén.), avoir subi une mutilation ou une infirmité permanente (art. 222-9 C.pén.), avoir subi une ITT de plus de 8 jours (art. 222-11 C.pén.), de moins de 8 jours ou n’avoir subi aucune ITT (art. R.624-1 C.pén.). Dans tous les cas, la peine encourue est aggravée quand la victime est un mineur de quinze ans (art. 222-8, 1° C.pén. ; art. 222-10, 1° C.pén. ; art. 222-12, 1° C.pén. ; art. 222-13, 1° C.pén.). |
La mutilation est l'ablation ou la détérioration d'un membre ou d'une partie externe du corps. Il s’agit d’ « une atteinte permanente à l'intégrité physique de la victime, qui va subir toute sa vie durant la marque d'une privation définitive ». L'infirmité, quant à elle, est une atteinte à une ou plusieurs fonctions corporelles sans que la santé générale de la victime n’en souffre pour autant. Elles restent donc deux hypothèses distinctes mais peuvent être causées par le même fait de violences.
La mutilation se caractérise par l’irréversibilité. Alors, certains arguent que la qualification de violences volontaires ayant entraîné une mutilation permanente ne peut être retenue lorsque le dommage subi est réparable (ex : un bras cassé). Cette condition pose question face au développement de la chirurgie réparatrice pour les patientes ayant subi une excision. En effet, cette technique médicale a été mise au point en 2004, par le Docteur P. Foldès, un urologue français. Pour autant, même si la reconstruction du clitoris de la femme excisée ainsi qu’une prise en charge globale du traumatisme psychique sont possibles et que la France est pionnière en la matière, il semble que celles-ci ne suffisent pas pour abandonner la qualification de violences volontaires ayant entrainé une mutilation permanente. En effet, il semble que l’intérêt protégé par l’incrimination est d’une importance telle que la mise en place de soins adaptés pour la reconstruction physique et psychique de la victime est insuffisante pour abandonner les poursuites. Il s’agirait là d’un argument fallacieux, bien heureusement inutilisé dans les prétoires.
Cette question a néanmoins l’intérêt (théorique) d’ouvrir sur celle de la correctionnalisation. La correctionnalisation est un des moyens de la politique criminelle. C’est une technique procédurale consistant à dire délictuels des faits normalement qualifiés de crime. Il ne s’agit pas alors de dire que la victime d’une excision a subi une simple ITT, car il n’est pas contestable qu’elle a subi une mutilation. Toutefois, quand la victime est décédée des suites de l’excision, il se peut que le juge répressif préfère, par exemple, à la qualification de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, la qualification d’omission de porter secours sur le fondement de l’article 223-6 C.pén..
Donc, les mutilations sexuelles féminines sont des violences intentionnelles ayant conduit à une mutilation au sens juridique du terme. La Chambre criminelle s'est d’ailleurs nettement prononcée en faveur de cette qualification criminelle, à la fin du XXème siècle. L’auteur encourt alors dix ans d’emprisonnement. En sus, la circonstance aggravante tirée de la minorité de 15 ans de la victime et celle tirée de la qualité d’ascendant légitime de l’auteur sont applicables le cas échéant. L’auteur encourt alors quinze ou vingt ans de réclusion criminelle. Il sera donc traduit devant la Cour d’Assises (cas le plus fréquent en pratique) et désormais, devant la Cour Criminelle Départementale.
L'analyse juridique de la Cour de cassation paraît certainement exacte. Pour autant, certains auteurs se demandent si la politique criminelle est adaptée. Retenir l’infraction de violences volontaires et donc calquer la sanction de l’auteur sur la gravité du résultat dommageable ne semble pas être le meilleur fondement de la répression pénale, précisément parce que la gravité de la faute de l’auteur n’est pas prise en compte. Néanmoins, cette solution est maintenue et le législateur est intervenu pour étendre le dispositif existant.
III) L’adoption d’une législation protectrice
Pour intensifier la lutte contre l’excision et combler les lacunes du droit existant, le législateur a créé un dispositif spécifique pour l’application de la loi dans l’espace (A) et a introduit de nouvelles infractions dans le Code pénal (B).
A. L’extension du principe de territorialité
La loi pénale française est applicable aux faits commis sur le territoire de la République (art. 113-2 C.pén.). Dans le cas contraire, elle n’est applicable que si l’auteur et.ou la victime a la nationalité française (art. 113-6 s. C.pén.). Si tel n’est pas le cas, l’application universelle de la loi française permet au juge répressif français de juger des faits de torture (art. 689-2 C.proc.pén.). Or, cette qualification n’est pas retenue pour réprimer les faits d’excision.
Alors, la loi du 4 avril 2006 est venue combler cette lacune. Elle a inséré un nouvel article 222-16-2 dans le Code pénal, destiné à étendre le principe de personnalité passive aux victimes mineures résidant habituellement sur le territoire pour les crimes ou délits de violences volontaires commis à l'étranger. Ce texte renforce donc la protection des mineurs contre l'excision et les autres mutilations sexuelles. Il protège tous les enfants qui vivent en France, quelle que soit leur nationalité. En effet, les critères de rattachement permettant la poursuite en France des auteurs d’excision ont évolué.
Pour autant, l’extension de compétence ne semble pas tout résoudre en pratique. Si elle permet d’appliquer la loi française, encore faut-il que l’auteur de l’infraction commise à l’étranger puisse être traduit devant les juridictions nationales, c’est-à-dire encore faut-il qu’il soit présent sur le territoire.
B. Application de textes d’incrimination spécifique aux mutilations sexuelles
L’excision est donc réprimée sous la qualification de violences volontaires ayant entrainé une mutilation. Toutefois, la loi du 5 août 2013 a introduit deux nouvelles infractions dans le Code pénal pour renforcer la protection des mineurs et lutter contre l'excision. Il s’agit d’infractions obstacles puisque l’article 227-24-1 du Code pénal dispose qu’elles sont caractérisées « lorsque [la] mutilation n'a pas été réalisée ». Il s’agit d’une forme autonome d’incitation ou de provocation non suivie d’effet.
"L’atteinte à l’intégrité physique du mineur n’a donc plus besoin d’être effective. Cela comble un vide juridique évident puisque la tentative de violences volontaires n’est pas réprimée par le Code pénal."
Ces deux infractions ont en commun qu’elles protègent le mineur en incriminant un comportement arrivant en amont du passage à l’acte sur l’iter criminis. Les comportements incriminés sont :
Le fait de faire des offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques, ou d'user de pressions ou contraintes, afin que le mineur se soumette à une mutilation sexuelle ;
Le fait d'inciter directement autrui à commettre une mutilation sexuelle sur un mineur.
Pour rappel, cette loi adapte la législation nationale afin de satisfaire aux exigences posées par la Convention d’Istanbul. Les faits ainsi incriminés font encourir cinq ans d’emprisonnement et 75 000€ d’amende. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République est venue modifier cet article en rehaussant le quantum des peines encourues : ces infractions font désormais encourir sept ans d’emprisonnement et 100 000€ d’amende.
Cette même loi met en place des dispositions concrètes afin d’appliquer le plan de lutte contre l’excision à l’échelle nationale. Par exemple, elle précise dans le Code de l’éducation que les établissements d’enseignement primaire et secondaire doivent informer et sensibiliser sur les violences sexuelles et sexistes mais également sur les mutilations sexuelles féminines.
Donc, les lois de 2013 et de 2021 viennent combler les lacunes du droit positif en s’appuyant sur le droit européen afin de lutter plus efficacement contre l’excision.
CONCLUSION :
À titre conclusif, deux points doivent être abordés. D’une part, la terminologie utilisée par le législateur pose question (A). D’autre part, puisqu’il a longuement été rappelé que l’excision est une pratique coutumière, les conséquences de la tradition et de la morale sur le droit doivent être envisagées (B).
L’extension du vocable « mutilations sexuelles »
Les différentes normes présentées viennent renforcer la lutte contre l’excision et protéger les victimes de ces pratiques. Toutefois, la terminologie utilisée interroge. En effet, le Code pénal parle de « mutilation sexuelle ». D’une part, ni le terme d’excision, ni celui d’ablation ne sont utilisés. Ce choix est aisément compréhensible en ce que si la loi pénale, d’interprétation stricte, incriminait l’excision, elle serait nettement trop restrictive. Aussi, selon les travaux préparatoires de la loi de 2013, une telle protection exclusivement consacrée à l’excision serait contraire au principe d’égalité, créant ainsi une discrimination. D’autre part, seule l’expression « mutilation sexuelle » est employée sans préciser l’influence jouée par le genre de la victime. Il s’agit là d’une question hautement sensible.
Outre la question de la détermination du genre de l’individu et des questions de concordance entre le genre biologique et le genre vécu, la loi pénale ne réprime pas spécifiquement les mutilations sexuelles subies par les jeunes filles.
Le choix de ces termes génériques permet de penser que les mutilations sexuelles subies par les jeunes garçons sont également réprimées par la loi pénale française.
Mais alors, est-ce que la circoncision est effectivement réprimée par ces textes ? D’abord, cette pratique relevant de la liberté de conscience, doit être conciliée avec l’ordre public d’une part et avec le respect des droits et libertés d’autrui d’autre part, dont l’interdiction de la torture posée par l’article 3 de la Conv.EDH. Alors le respect dû aux croyances (qu'elles soient religieuses ou tirées de la coutume) doit être mis en balance avec l’impérative protection de l’intégrité physique du mineur.
Ensuite, il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas. Alors, la loi pénale réprime les mutilations sexuelles, indépendamment du sexe du mineur parce qu’il est évidemment illégitime d’exclure par principe l’enfant du bénéfice de ces dispositions en raison de son sexe. Pour autant, si à la lecture du Code pénal, il apparaît que la circoncision est réprimée, la ratio legis de la loi de 2013 est tout autre : les travaux préparatoires ne traitent aucunement de cette pratique.
Alors, la circoncision longtemps tolérée bien que médicalement non justifiée semble désormais être prohibée. Néanmoins, cette assertion n’est pas totalement exacte. Il conviendrait plutôt d’énoncer qu’elle est encadrée. En effet, il s’agit d’une atteinte à l’intégrité physique du mineur au nom de convictions religieuses qui doit être encadrée par le corps médical. Ainsi, la résolution du Parlement européen, du 1 octobre 2013 condamne l’excision (point 7.5.1) mais ne condamne pas la circoncision (point 7.5.2). Elle impose seulement que soient définies des conditions médicales à respecter afin que le jeune garçon soit protégé.
Alors, l’encadrement par la médicalisation de la pratique permettrait de « sauvegarder » la circoncision de l’interdiction, toujours dans l’idée de concilier la liberté de conscience et la protection de l’intégrité des enfants. À titre d’exemple, si le tribunal de Cologne a qualifié la circoncision de violences volontaires aggravées, dans une décision du 7 mai 2012, le Bundestag (chambre basse du Parlement allemand) a voté une loi à la fin de la même année pour autoriser cette pratique. L'acte chirurgical pourra être réalisé par une personne formée et qualifiée, s'il est conforme à « un traitement adapté et effectif de la douleur ».
Les conséquences de la tradition et de la morale sur le droit
Puisque l’excision est une pratique coutumière, il est possible de se demander si le mobile ayant inspiré l’acte pourrait justifier l’infraction ? L’agent peut-il arguer qu’il ne faisait que respecter la coutume pour échapper à sa responsabilité pénale ? S’agissant des raisons pour lesquelles l’agent passe à l’acte, commet une excision, il convient de rappeler avec fermeté que le mobile, en principe, n’est pas pris en compte par le droit pénal. Alors, il ne saurait retirer aux actes leur caractère infractionnel.
Aussi, depuis la loi du 9 décembre 1905, la loi pénale n’a pas à se soumettre à la règle religieuse. Pour autant, quand une coutume religieuse préconise une pratique interdite par la loi pénale, il peut y avoir un conflit d’ordre moral. En tout cas, la religion n’étant pas une source normative à proprement parler, elle doit céder face à l’incrimination républicaine. Alors, s’agissant de ceux qui pratiquent des excisions, intolérables dans notre société, ils ne peuvent s’abriter derrière la coutume pour échapper à la condamnation. En réalité, la prise en compte de la coutume par le droit pénal dépend de sa substance. En effet, la coutume secundum legem, qui s’applique en vertu de la loi, doit être respectée. La coutume praeter legem, établie dans le silence de la loi, doit être suivie à condition qu’elle ne soit pas contra legem. Alors, la circoncision n’étant pas l’objet d’un texte d’incrimination ni d’une quelconque loi, peut être décrite comme une coutume praeter legem, et partant, comme une pratique tolérée. En effet, elle n’est pas contra legem car elle n’est pas réprimée et n’a même pas été invoquée dans les travaux préparatoires de la loi de 2013.
L’excision, quant à elle, en tant que mutilation ne peut être qu’une coutume contra legem. Alors, elle n’est jamais un fait justificatif. Elle a pu fonder des circonstances atténuantes, bien que cette solution soit depuis longtemps abandonnée par la jurisprudence. Il ne serait en effet pas audible de justifier une infraction en se retranchant derrière une pratique coutumière par ailleurs réprimée par la loi pénale. Alors, le juge pénal refuse que l'excision puisse être justifiée par le respect d'une coutume d'origine (Crim. 20 août 1983) c’est-à-dire qu’il refuse de constater que l'élément intentionnel fait défaut en raison du poids de la culture ancestrale subie par les parents auteurs.
Enfin, il convient de rappeler que conformément à l’article 16-3 du Code civil, l’atteinte à l’intégrité du corps humain peut être justifiée si elle est une nécessité médicale et si l’intéressé y a préalablement consenti. Alors, « toute atteinte, même justifiée par la religion, la tradition ou l'usage, n'échappe pas à un risque de sanction ». Ainsi en est-il des pratiques d'excision.
Juliette SUSSOT
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