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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

L'hébergement incompatible avec la dignité humaine


Cet éclairage a été publié pour la première fois par Marie BROGNA, en septembre 2018, dans La Revue n°2.


Priorité de l’Etat et symptôme d’un mal contemporain


Contexte - Fin août, sept personnes dont cinq enfants ont été grièvement blessés dans l’incendie d’un immeuble du centre d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). L'immeuble ne disposait d'aucune autorisation d'habitation dans la mesure ou c'était un bâtiment bénéficiant juste d'un bail commercial. Le commerçant hébergeait malgré tout 13 personnes à cet endroit, en toute illégalité. Un tel phénomène n'est pas nouveau et est en grande partie lié à la pénurie des logements. Ces propriétaires sans scrupule qui n'hésitent pas à louer des locaux médiocres voire dangereux à des personnes très souvent vulnérables sont appelés des «marchands de sommeil». Une telle location constitue l’infraction d’ «hébergement incompatible avec la dignité humaine», dont la répression est fixée à cinq ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Si aujourd'hui cette délinquance est en pleine recrudescence compte tenu de l'accroissement de la pénurie de logement, l'arsenal juridique français ne cesse de s'étoffer depuis des années, sans réellement faire disparaitre le problème.


Une lecture de l'infraction - L'article 225-14 du Code pénal pose, pour rappel, que " le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende".


Un élargissement de l'incrimination- La rédaction initiale de l'infraction lors de sa création en 1994 disposait que « le fait de soumettre une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de deux ans d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende ». Ainsi, pour que l'infraction soit caractérisée, l'auteur devait abuser de la situation de dépendance ou de la vulnérabilité de la victime (au même titre que dans l'infraction d'abus de faiblesse). Cela posait en pratique de grande difficulté car le législateur n'avait pas pris soin de préciser ce qu'il fallait entendre comme comportement abusif susceptible d'être incriminé. Tirer profit de la vulnérabilité d'une personne signifie-t-il qu'a contrario la simple connaissance de l'état de vulnérabilité n'entre pas dans les prévisions de l'incrimination ? Il en résultait des décisions aberrantes rejetant l'application de cette infraction à des loueurs offrant un hébergement, même précaire, à un tiers, la condition de soumission et d'abus ne pouvant être remplie en raison de la gratuité du logement (CA Versailles 20 novembre 2001).



C'est par le biais d'une intervention législative en date du 18 mars 2003 (loi sur la sécurité intérieure), que le législateur a supprimé toute référence à l'abus dans l'état de dépendance ou de vulnérabilité de la victime en y substituant des précisions sur la qualité de la victime de l'infraction. Cette dernière doit être une personne dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents et connus de l'auteur. Ainsi, il n’est plus nécessaire d’exiger un abus de la situation de vulnérabilité, la simple exploitation de celle-ci par l’auteur suffit. L’infraction se trouve donc plus aisément constituée.


La preuve facilitée par une présomption de vulnérabilité - Toujours dans une optique protectrice, par le biais de la loi sur la sécurité intérieure de 2003, une présomption de vulnérabilité ou de situation de dépendance au profit de certaines personnes a été insérée dans le Code pénal. Ainsi, l'article 225-15-1 dispose que "pour l'application des articles 225-13 à 225-14-2, 20 Infraction du trimestre Hébergement incompatible avec la dignité humaine : priorité de l’Etat et symptôme d’un mal contemporain 21 les personnes qui ont été victimes des faits décrits par ces articles à leur arrivée sur le territoire français sont considérés comme des personnes vulnérables ou en situation de dépendance". Cela signifie dès lors que les mineurs et les étrangers, lors de leur première arrivée en France, sont désormais de plein droit considérés comme des personnes vulnérables ou en situation de dépendance lorsqu'ils subissent des conditions d'hébergement indignes. Si l'on fait abstraction de cette présomption, il apparaît que la condition de vulnérabilité est largement appréciée. Concernant la vulnérabilité, il n’est pas exigé qu’elle soit d’une particulière importance. Par contre, la vulnérabilité tout comme la dépendance doit être apparentes ou connues de l’auteur. La vulnérabilité peut être liée à l’état physique ou mental particulier d’une personne (femme enceinte, personne âgée, enfant en bas âge, personne malade, personne handicapée), mais également à son environnement économique, social ou culturel (les personnes immigrées, les chômeurs, les sans-abri). La dépendance peut être liée à des raisons économiques (personnes en situation économique précaire tels que les chômeurs ou personnes bénéficiant du revenu minimum d’insertion), mais il peut également s’agir d’une dépendance morale (un maître sur un domestique, des parents sur leurs enfants). Ces deux notions peuvent parfois se confondre, cependant l’une ou l’autre doit exister pour caractériser l’infraction. En dépit de cette appréciation large de la condition de vulnérabilité, l'infraction demeure fragile en raison de la référence à la notion de dignité.


La notion de dignité humaine fragilisant la consommation de l’acte - L'acte sanctionné est la soumission de la personne vulnérable à des conditions d'hébergement contraires à la dignité humaine. En conséquence, il s'agit d'une infraction matérielle dans la mesure ou l'infraction ne sera constituée que si la personne a effectivement été soumise à ces conditions, peu importe les procédés utilisés. La notion d'atteinte à la dignité humaine n'a jamais fait l'objet d'une définition exacte. Il n'en demeure pas moins que c'est une préoccupation centrale du droit. Après avoir été proclamée dans de nombreux textes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, il semble que ce soit en 1994 que cette notion soit devenue effective en droit français. En effet, ce dernier a affirmé que «la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle» (Cons. Cons., 27 juillet 1994). La dignité humaine englobe tous les aspects qui caractérisent l’être humain, son esprit, son essence même, et son intégrité.


En conséquent, est incompatible avec la dignité humaine ce qui abaisse ou avilit l’être humain dont les droits essentiels sont bafoués. Si on laisse de côté l'appréciation des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine, on peut s'interroger sur ce que sont les conditions d'hébergement contraires à celle-ci. Il existe de nombreux textes qui peuvent constituer, pour le juge, des éléments objectifs d'appréciation des conditions d'hébergement, notamment les règles fixées par le Code de la construction et de l'habitation, ainsi que l'article R. 111-3 du Code de la construction et de l'habitation. Toutefois, il semble que le législateur ait choisit d'opter pour la notion d'atteinte à la dignité humaine pour ne sanctionner que les atteintes les plus graves, celles qui atteignent l'homme et le rabaissent en dessous de sa condition humaine. Il ne suffit donc pas pour caractériser le délit que les normes d'habitation n'aient pas été respectées. Bien au contraire, dans un arrêt en date du 26 juin 2016, la Cour de cassation a affirmé que l'article 225-14 du Code pénal « ne subordonne pas la caractérisation de l'indignité des conditions d'hébergement à la preuve de la violation d'une norme d'hygiène ou de sécurité imposée par une disposition légale ou réglementaire spéciale ».


Ainsi, a été retenu comme condition d'hébergement indigne du fait des caractéristiques du logement, le fait que ce studio ne répondait pas aux critères d'habitabilité quant à la hauteur sous plafond, à l'éclairage naturel, à l'isolation en raison d'une forte humidité, et à la présence de cafards et de rats, au point que le préfet avait pris un arrêté d'insalubrité (Cour d'Appel de Paris - le 2 juillet 2007). Egalement, caractérise l'hébergement incompatible avec la dignité humaine, le fait de louer, à 22 titre onéreux, à une famille de trois personnes dont un enfant et une femme enceinte, un logement de 20 m² qui, contrevenant aux dispositions du règlement sanitaire départemental, présentait une humidité et des conditions de chauffage mettant en péril la santé des occupant (Chambre criminelle de la Cour de cassation - le 11 février 1998).


Contour incertain de l'infraction de condition d'hébergement indigne - Il semble par ailleurs que cette infraction ait des frontières difficiles à délimiter avec d'autres infractions. A titre d'illustration, la cour d'appel d'Amiens, dans un arrêt en date du 6 juin 2007, a relaxé une prévenue qui louait à des personnes sans emploi ou bénéficiant du RMI cinq chambres se trouvant à l'étage d'un immeuble ancien, présentant une vétusté certaine (notamment quant aux installations électriques), des conditions d'hygiène déplorables et une absence totale de sécurité contre le risque d'incendie, après avoir relevé que ces logements répondaient moins à un hébergement indigne qu'à un local offrant des conditions minimales de confort et d'habitabilité, au demeurant partagé par la prévenue qui occupait les deux pièces du rez-de-chaussée.


Synthèse - Si la lutte contre" les marchands de sommeil" obsède le législateur depuis plus d'un siècle, il est peu probable que la nouvelle loi sur le logement (loi Elan), qui sera débattue à l'Assemblée Nationale mi-octobre, prévoyant d'aggraver les sanctions à l'encontre de ceux-ci (notamment la confiscation du logement du propriétaire sans avoir à lui verser d'indemnisation), puisse mettre réellement fin à de telles pratiques. Si la volonté de réprimer une telle infraction est louable dans l'immédiat, il semble que la solution à terme serait de véritablement régler le problème du mal logement. En effet, il semble que l'infraction d'hébergement indigne ne soit qu'une cause directe du mal logement qui touche notre pays depuis des années. Cette thèse est soulignée depuis les années 1970 par l'économiste américain libéral Walter Block. Dans son ouvrage Défendre les indéfendable ce dernier écrivait : "L'existence de taudis se résume à un problème de pauvreté, un problème dont on ne peut pas tenir le propriétaire responsable".



Marie BORGNA

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