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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

L’évolution du Livre IV du Code pénal entre 1994 et 2024 : la lutte contre le terrorisme

« Une attaque terroriste contre un pays est une attaque 

contre l’humanité tout entière », Robert Badinter.  


Le Livre IV du Code pénal est consacré aux atteintes à la nation, à l’État et à la paix publique. Les infractions constituant de ce Livre sont toutefois hétérogènes. Au nombre de ces infractions se trouvent les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, les atteintes à l’action de la justice et à l’autorité de l’État, l’association de malfaiteurs, la corruption, le trafic d’influence mais également le terrorisme. 


Depuis l’entrée en vigueur du Nouveau code pénal en 1994, la législation pénale a connu des bouleversements profonds en la matière. 


Cela est justifié par l’augmentation constante des menaces envers la sécurité de l’État et notamment par la montée et la mutation des attaques terroristes.

Les trois décennies d’application du Nouveau code pénal montrent ainsi de nombreuses évolutions dont les plus marquantes sont relatives au terrorisme. La lutte contre le terrorisme se présente en France comme une priorité nationale. Le droit pénal se présente ainsi comme un outil permettant d’accentuer la répression de ces actes au mobile spécifique. 


Depuis l’adoption du Nouveau Code pénal, les infractions terroristes sont définies au sein des articles 421-1 et suivants. La place « subordonnée » dont elles disposent dans le Code n’enlève pour autant rien à l’importance de la valeur qu’elles protègent, à savoir le maintien de la sécurité publique et la protection de la société, et plus largement, celle de l’humanité. 


En outre, le terrorisme n’est pas une notion homogène. En effet, divers aspects (religieux, sociologiques, nationalistes…) ont une incidence sur celle-ci. Juridiquement, la législation pénale prohibe des actes commis en lien avec un groupe terroriste à savoir « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Cela fait notamment référence à l’étymologie du terrorisme aspirant à la « terreur ». 


Cette catégorie d’infractions dispose d’un caractère spécifique du fait de l’importance du résultat et de la gravité de ces actes. Au-delà des incriminations particulières par le droit pénal spécial, leurs ampleurs et leurs spécificités sont également perçues en procédure pénale par l’introduction d’un régime procédural particulier et en droit de l’exécution des peines par une prise en charge spécifique des auteurs de ces infractions. 


Néanmoins, le droit pénal français, au regard de la multiplication des attaques terroristes notamment sur son territoire, a développé un arsenal législatif dans un objectif de lutte contre le terrorisme. L’intervention de ces différentes lois ont été justifiées par la nécessité de combler les prétendues lacunes de l’ensemble législatif initial et de renforcer la répression (I). Toutefois, cette pratique législative, mise en place depuis l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal, nous conduit à nous interroger sur la portée et l’effectivité du droit pénal en la matière et, en conséquence, sur les risques de banalisation de ce type de criminalité (II).  


I) Le renforcement de la répression en réponse à la montée du terrorisme


Le terrorisme représente, non pas une unique infraction, mais une catégorie d’infractions. Insérés dans la législation pénale par la loi du 9 septembre 1986, les actes terroristes représentent divers comportements commis en relation avec une organisation terroriste. 


Au fil du temps, par l’intervention de nombreuses lois, adoptées principalement dans un contexte d’urgence, les incriminations terroristes se sont multipliées. Depuis 1994 et l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal, dix lois sont intervenues conduisant à l’établissement dans le droit positif de onze infractions terroristes soit neuf infractions supplémentaires par rapport à 1994. 


Dès 1996 jusqu’aux années 2010, le législateur n’a cessé de renforcer la sécurité intérieure, la défense, le contrôle des armes et, plus largement, la répression du terrorisme en France. 

En 1994, le Nouveau Code pénal intégrait seulement deux actes de terrorisme : d’une part, le terrorisme par labélisation, et d’autre part, le terrorisme écologique. Ces comportements ont été conservés dans le droit positif mais de nombreuses modifications ont pu être apportées, et ce, particulièrement en ce qui concerne le terrorisme par labélisation.


En effet, le terrorisme par labellisation, se caractérisant par la commission d’une infraction de droit commun dans une intention terroriste, a connu certaines modifications du fait de l’ajout d’un nombre considérable d’infractions de référence. Ces modifications ont notamment fait suite aux nombreuses lois intervenues entre 2001 et 2016. Cela participe ainsi à l’évolution de la répression du terrorisme dans l’objectif d’appréhender de manière exhaustive l’ensemble des comportements fautifs pouvant être constitutifs d’actes terroristes à partir du moment où ils seraient commis dans la structure d’une organisation terroriste terroriste.    


Le terrorisme écologique, quant à lui, incriminé à l’article 421-2 ne fait l’objet que de modifications marginales. Celles-ci se retrouvent principalement au regard de son élément matériel par l’ajout de comportements fautifs. Ces comportements peuvent constituer une introduction de substances susceptibles de « mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel ».


Cependant, depuis 1994, le titre relatif au « terrorisme » a été considérablement augmenté par l’intégration de nombreuses infractions considérées comme des actes terroristes par nature. Cette avancée législative s’explique par l’intervention d’un droit pénal de réaction. En effet, la montée du terrorisme en France a conduit le législateur a créé de nouvelles infractions dans l’objectif de renforcer la répression de ces attaques. 


Tout d’abord, peu de temps après l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal, la loi du 22 juillet 1996 relative au renforcement de la répression du terrorisme est venue créer l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste. À cette suite, les infractions de financement du terrorisme et de non-justification des ressources intègrent le Code pénal par les lois du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne et du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure. Puis dans les années 2010, par des lois relatives au renforcement de la lutte contre le terrorisme, les infractions de recrutement à finalité terroriste, de provocation directe et d’apologie du terrorisme, d’entrave au blocage des sites internet, d’entreprise individuelle collective mais également d’incitation d’un mineur à participer à une association de malfaiteurs terroriste sont intégrées au Code pénal. 


Cela conduit ainsi à augmenter considérablement le nombre d’infractions de terrorisme. Le renforcement de la répression est alors perçu, au regard de cet accroissement quantitatif dans un objectif de diversification des actes pouvant ainsi contribuer à la neutralisation des actes terroristes par le droit national. 


Néanmoins, l’élargissement de l’arsenal législatif justifié par la lutte contre le terrorisme à l’échelle nationale tend à atténuer le retentissement de la répression du terrorisme pouvant ainsi conduire à une certaine idée de banalisation. 


II) Les impacts sur la portée et l’effectivité du droit pénal


Le Code pénal actuel contient un éventail d'infractions terroristes dont la justification n’est pas en doute. En effet, la lutte contre la criminalité terroriste et la multiplication de ces actes sur le territoire français et mondial rend légitime la réaction du législateur. Toutefois, la quantité d’infractions, leurs contextes d'émergence et leurs caractérisations nécessitent d’être interrogés dans l’objectif d’apprécier la portée et l’effectivité de cet arsenal pénal en  matière terroriste. 


Tout d’abord, au regard des textes divers d’incrimination, il est possible de constater que les comportements terroristes s’effectuent par un aménagement des infractions de droit commun (association de malfaiteurs, non-justification des ressources en étant en relation avec une personne se livrant habituellement à un crime ou délit, le fait mettre les mineurs en contact avec des messages violents) au contexte terroriste. 


La question fondamentale qui se pose est celle du respect des principes fondamentaux dans l’incrimination des actes terroristes. La renforcement de la lutte contre le terrorisme ne doit pas justifier le fait de bafouer les principes du droit pénal. 

À cet égard, le Conseil constitutionnel a eu plusieurs occasions d’intervenir aux motifs que certaines infractions terroristes apparaissent contraires au principe de nécessité des délits et des peines, au principe de prévisibilité et de clarté de la loi pénale et ainsi qu’au principe de la légalité criminelle. 


L’infraction de consultation habituelle de sites provoquant au terrorisme créée par la loi du 3 juin 2016 et abrogée définitivement par le Conseil constitutionnel le 15 décembre 2017 est une bonne illustration de l’engouement du législateur, dans un objectif d’accroissement de la répression des actes terroristes, mais qui porte considérablement atteinte aux principes juridiques. En effet, cette infraction consistant à réprimer le fait de consulter des sites, a été considéré justement par le Conseil constitutionnel comme non susceptible d’établir l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes. Cette incrimination tendait ainsi à une répression accrue remontant considérablement sur l’iter criminis.


La création d’autres infractions terroristes a également posé question en droit français tel que celle du recel de provocation d’apologie du terrorisme d’origine jurisprudentielle. Cette infraction a été admise par un arrêt du 7 janvier 2020 de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Toutefois, consistant en « le fait de détenir à la suite d’un téléchargement en toute connaissance de cause des fichiers litigieux », le Conseil constitutionnel est intervenu en considérant que ce délit portait une atteinte non nécessaire, non adaptée et non proportionnée à la liberté d’expression ce qui a conduit à son abrogation. À cet égard, le Conseil constitutionnel contrôle la conformité de l’interprétation de la loi faite par la jurisprudence au bloc de constitutionnalité. 


En conséquence, il est légitime de constater que la quête du législateur est contrebalancée par la quantité d'infractions, mais également par le non-respect de certains grands principes du droit pénal. Cela a ainsi des impacts sur la portée de la répression du terrorisme en France. 

Dès lors, symboliquement, l’évolution des infractions terroristes dans le Code pénal depuis 30 ans impacte le caractère spécifique de cette catégorie d’infractions. Le risque vers lequel le législateur français tend est celui d’une potentielle banalisation des actes terroristes en France. 

 


Camille ARRIVE-BEYLOT

 

{1} Giudicelli-Delage Geneviève, « Les crimes et délits contre la Nation, l’État et la Paix publique dans le nouveau Code pénal », RSC, 1993. 

{2} Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986.

{3} Terme utilisé par la doctrine notamment par Jeanne Nicolas, Droit pénal en cas pratique, Dalloz, 2023. Ce type d’acte peut également être qualifié de terrorisme par contexte, par finalité ou encore par référence. 

{4} Loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire. 

{5} Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne.

{6} Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (1).

{7} Loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme

{8} Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (1)

{9} Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (1)

{10} Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (1)

{11} Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (1)

{12} Ancien article 421-2-5-2 du Code pénal. 

{13} Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (1)

{14} Cons. cons., 15 décembre 2017. 

{15} Cette infraction, anciennement incriminée à l’article 421-2-5-2 du Code pénal, a connu une longue évolution entre introductions légales et censures jusqu'à être définitivement abrogée en 2017 par le Conseil constitutionnel. 

{16} Cass. Crim. 7 janvier 2020 n°19-80.136. 

{17} Cons. cons., 19 juin 2020.


Bibliographie


  • Mayaud Yves, « Terrorisme », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Janvier 2020. 

  • Rouidi Hajer, « La loi n°2014-1353 du 13 novembre 2024 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme : quelles évolutions ? », AJ pénal, 2014.

  • Menabe Catherine, « L’appréhension pénale du terrorisme », Civitas Europa, 2016. 

  • Ambroise-Castérot Coralie, Droit pénal spécial, Dalloz, 2023-2024. 

  • Jeanne Nicolas, Droit pénal en cas pratique, Dalloz, 2023.

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