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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

L’évolution du Livre V du Code pénal

Le Code pénal de 1994 intègre un livre V, intitulé « Des autres crimes et délits ». Il se découpe en deux titres.


  • Le Titre 1 est relatif aux infractions en matière de santé publique. Il s’agit des infractions pouvant être commises dans l’éthique biomédicale (également appelé bioéthique). Le présent article portera essentiellement sur l’évolution de la bioéthique au sein du Code pénal.


  • Le Titre 2 est appelé « Des autres dispositions ». Bien que ce nom soit très vague, il s’agit d’élever au rang de délit certaines violences commises envers les animaux.


En raison de l’évolution de la science et notamment de la médecine, il est essentiel de comprendre les enjeux de la pénalisation d’actes scientifiques pouvant porter atteinte au corps humain.


Le terme « bioethik » est apparu pour la première en 1927 en Allemagne, mais n’est popularisé qu’en 1971 lors de la publication du livre « Bioethics : Bridge to the Future » par Van Ressekaer Potter. La bioéthique peut être définie comme l’assemblage des connaissances biologiques (bio) et des valeurs humaines (ethos). Ce domaine a donc vocation à lier les sciences de la vie à la morale {1}.


La notion de bioéthique apparaît en France en 1983, avec la création du Comité Consultatif National d’Éthique. En effet, suite à la naissance du « Premier bébé éprouvette » {2} en 1982, il est devenu nécessaire de créer une telle instance.


Avant 1994, les atteintes pouvant être portées au corps humain n’étaient prises en compte que par l’incrimination des atteintes à la vie (comme l’homicide) ou à l’intégrité de la personne (par exemple par la répression des violences).

Cependant, le développement des sciences et des nouvelles techniques médicales (comme l’insémination artificielle) ont rendu nécessaire l’appréhension de la bioéthique par le droit pénal. En effet, il est devenu inévitable de fixer des limites pénales à ce qui peut être fait ou non {3}.


Avant le Nouveau Code pénal, il n’y a que quelques dispositions éparses sur l’incrimination de certaines techniques biomédicales. A titre d’exemple : 


  • La loi du 17 janvier 1975 (loi Veil) est venue appréhender l’interruption volontaire de grossesse. En effet, depuis 1975, l’IVG est autorisée en France mais strictement encadrée, notamment au regard des délais {4}


  • La loi du 20 décembre 1988, dite « loi Huriet » {5} contenait déjà des dispositions pénales ayant vocation à empêcher les poursuites et condamnations de chercheurs qui effectuent des recherches n’ayant pas d’objectif thérapeutique immédiat {6}.


C’est ainsi que la loi du 29 juillet 1994 {7} permet l’intégration, dans le Nouveau Code pénal de 1994, d’un Livre V portant essentiellement sur les recherches biomédicales et la bioéthique. Le Code de la santé publique définit les recherches biomédicales comme celles « pratiquées en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales » {8}. Depuis la réforme du code de 1994, la matière pénale réprime les pratiques de recherche qui auraient vocation à porter atteinte au corps humain, non seulement dans son individualité mais également dans son universalité. 


La loi bioéthique du 29 juillet 1994 vient consacrer plusieurs principes fondamentaux dans le droit français :


  • Le corps humain est inviolable (Article 16-1 du Code civil). Ce principe se comprend au regard de la dignité humaine. Dès lors, il n’est pas possible de porter atteinte à l’intégrité du corps humain, sauf en cas de nécessité médicale. Le Code pénal de 1994 traduit ce principe au sein du livre V. Par exemple, il n’est pas possible de prélever des tissus ou organes sur une personne décédée à des fins scientifiques, hors les cas prévus par le Code de la santé publique (article 511-5-1 du Code pénal).


  • Le corps humain ne peut pas être l’objet d’un droit patrimonial. Il en résulte de nombreuses interdictions, comme le fait de vendre ses organes, produits du corps ou gamètes (voir par exemple l’article 511-2 du Code pénal).


  • Enfin, la loi précitée impose de requérir le consentement des patients pour tout acte médical. Dès lors, les interventions sur le corps humain, sans consentement, sont des infractions réprimées par le Code pénal.


Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la Convention d’Oviedo {9} le 1er décembre 1999 a permis de renforcer le dispositif pénal encadrant la recherche biomédicale. 


L’établissement des contours de la répression en matière biomédicale est rendu délicat en raison des progrès et de l’évolution perpétuelle de la médecine. Par ailleurs, la bioéthique est une matière pluridisciplinaire, associant des médecins, biologistes, généticiens, philosophes, sociologues, personnes malades… et des juristes {10}.


Il convient donc d’envisager la mise en balance des intérêts de la biomédecine avec les principes d’indisponibilité, non-patrimonialité du corps et de consentement des personnes, posés en 1994 (I). Un regard critique sur le livre V, 30 ans après sa création, sera également porté (II).



I) La poursuite d’un équilibre entre le progrès scientifique et l’intégrité du corps humain


Comme précisé en introduction, la loi du 29 juillet 1994 est venue poser le cadre pénal en matière de bioéthique. 


Deux grandes autres lois bioéthiques sont venues modifier le Code pénal, il s’agit des lois du 6 août 2004 et du 2 août 2021 {11}.


La loi du 6 août 2004 est notamment venue modifier l’article 511-1 et créer les articles 511-1-1 et 511-1-2 relatifs à la protection de l’espèce humaine. Il ne s’agit pas seulement de protéger un individu en particulier mais tous les être humains. 


  • Ces articles incriminent le prélèvement de cellules ou gamètes (cellules reproductrices) à des fins de clonage reproductif. 


Le clonage est dit reproductif lorsqu'il s’agit de faire naître un humain génétiquement identique à un autre, vivant ou décédé (ce procédé a toutefois déjà été testé sur les animaux dont le premier était la brebis Dolly en 1996 au Royaume Uni).


  • Le clonage « thérapeutique », qui consiste à cloner les cellules d’un humain pour en faire un embryon identique afin de prélever ensuite les cellules de l’embryon pour soigner le patient est également interdit.


En effet, les articles 511-17 et suivants du Code pénal interdisent le clonage thérapeutique, lorsque les fins sont commerciales, industrielles ou de recherche {12}


Bien que le clonage « thérapeutique » semble moralement plus acceptable, car il a pour but de soigner un patient malade, celui-ci reste pénalement répréhensible. Le but est notamment d’éviter les dérives.


Par ailleurs, depuis le Code pénal de 1994, de nombreux comportements sont incriminés afin de lutter contre les trafics d’organes, de tissus, de gamètes ou d'embryons.


Dès lors, le livre V réprime le non-respect des réglementations et protocoles relatifs aux prélèvements d’organes (que le donneur soit vivant ou décédé) et relatifs à l’Assistance Médicale à Procréation ou au diagnostic prénatal {13}.


En effet, le consentement du patient est toujours requis avant d’effectuer un acte biomédical et l’acte ne doit jamais être fait à titre lucratif.

Toutefois, les dispositions relatives à la bioéthique et aux recherches biomédicales ne sont pas toutes concentrées dans le Livre V, mais parfois éparpillées dans le code.


En effet, l’eugénisme, qui est le fait de mettre en œuvre une sélection des personnes (cette sélection pouvant donc être génétique), est prohibé par l’article 214-1 du Code pénal (donc par le livre II). Concernant la qualification d’eugénisme, elle a été initialement mise en place suite aux exactions du régime nazi qui effectuait des stérilisations forcées de femmes, selon leur catégorie sociale ou leur religion. 


De même, le livre II réprime le fait d’avoir recours à une gestation pour autrui en France (article 227-12-1 du Code pénal).


La science étant en perpétuelle évolution, il est nécessaire de poursuivre les recherches biomédicales. Il faut dès lors concilier les différents intérêts : la protection de la personne et la nécessité de la recherche.


II) Les critiques relatives à l’incrimination des pratiques biomédicales au sein du Livre V


Il apparaît que la conciliation de la protection du corps humain et de la recherche médicale n’est pas une tâche aisée. 


D’abord, certains auteurs considèrent que le principe de légalité criminelle (article 111-3 du Code pénal) n’est pas respecté. Ledit principe, également connu sous l’adage « nullum crimen, nulla poena sine lege », signifie qu’une personne ne peut être reconnue coupable d’un acte que s’il est réprimé par un article de loi suffisamment clair et précis {14}.


En matière biomédicale, le législateur incrimine certains comportements en procédant souvent par renvoi au Code de la santé publique et/ou en utilisant des termes médicaux, sans aucune définition {15} (ex : utilisation du terme « thérapie cellulaire »). Il en résulte une méconnaissance de la légalité matérielle. 


Une autre difficulté est que le Livre V concourt à une pénalisation de la recherche et de la biomédecine qui n’est pas strictement encadrée. En effet, souvent les éléments constitutifs ne sont pas précis ; dans ce cas, la jurisprudence a une certaine latitude dans l’interprétation des comportements prohibés ou non. Ce propos est à nuancer car, en pratique, il y peu de contentieux relatifs aux infractions commises dans la recherche biomédicale. 

En outre, les dispositions biomédicales du livre V relèvent parfois de qualifications spéciales, ce qui engendre un risque plus élevé de conflit de qualifications. 

A titre d’exemple, un prélèvement forcé d'organes (article 511-3 du Code pénal) peut également revêtir la qualification de violence ayant entraîné une mutilation permanente (article 222-9 du Code pénal) ou d'acte de tortures et de barbarie (article 222-1 du Code pénal). Dès lors, pour résoudre les conflits de qualifications, il convient de rechercher si l’acte est commis dans un contexte médical/scientifique ou non. En effet, les infractions mentionnées au livre V ont vocation à sanctionner les dérives de l’évolution de la recherche médicale {16}.


Il convient toutefois de noter que la tentative de nombre des délits abordés au livre V est incriminée de façon autonome, à l’article 511-26 du Code pénal. 


Enfin, le livre V relatif aux infractions en matière de bioéthique n'a pas encore réglé certaines problématiques sociétales (bien qu’il n’ait toutefois pas vocation à le faire).  Par exemple, il ne se prononce pas explicitement sur le fœtus ni sur la fin de vie. 


Conclusion 


En conclusion, certains auteurs estiment quele Code pénal manque de cohérence et d'organisation en matière d’infractions bioéthiques. En effet, le livre V ne contient pas toutes les incriminations relatives à sciences médicales, et n’est pas pleinement satisfaisant dans la rédaction des infractions qu’il incrimine. 


En outre, le Code pénal subit les évolutions de la science et n’évolue peut-être pas assez rapidement pour affiner les contours des limites pénales apportées aux progrès de la recherche médicale. En effet, certaines techniques médicales pourraient à terme, porter atteinte au corps humain. Toutefois, il est difficile de limiter pleinement les recherches alors que le monde connaît l’apparition de nouvelles problématiques médicales (maladies auto-immunes, crise du covid, etc.).


Dès lors, l’équilibre entre la recherche scientifique et la protection du corps humain reste encore précaire. 

Enfin, l’évolution du livre V du Code pénal reste incertaine à l’heure où des débats sur la fin de vie sont en cours. En effet, dans le cas où le suicide assisté ou l’euthanasie seraient légalisés quelles seraient les incidences en droit pénal ? 



Alicia ROBINAULT

 

{1} MEYER A., sous la direction de Houchang GUILYARDI, dans « Psychanaliste et médecine, entre corps et langage », éditions Érès (2022), pages 347 à 361

{2} Naissance du 1er bébé conçu par fécondation in vitro

{3} MEYER A., sous la direction de Houchang GUILYARDI, dans « Psychanaliste et médecine, entre corps et langage », éditions Érès (2022), pages 347 à 361 {4} Loi Veil du 17 janvier 1975, n°75-17

{5}  Loi Huriet du 20 décembre 1988, n°88-1138 {6} BENEJAT M., « Les relations du droit pénal et de la bioéthique », AJ Pénal 2012, p.392

{7} Loi bioéthique du 29 juillet 1994, n°94-654 {8} Article L. 1121-1 du CSP

{9} La Convention d’Oviedo, signée le 4 avril 1997 est le seul instrument juridique contraignant international pour la protection des droits humains dans le domaine biomédical

{10} MEYER A., sous la direction de Houchang GUILYARDI, dans « Psychanaliste et médecine, entre corps et langage », éditions Érès (2022), pages 347 à 361

{11} Loi n°2004-800 du 6 août 2004 et loi n°2021-1017 du 2 août 2021 {12} BENEJAT M., « Les relations du droit pénal et de la bioéthique », AJ Pénal 2012, p.392

{13} BENEJAT M., « Les relations du droit pénal et de la bioéthique », AJ Pénal 2012, p.392 {14} Article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, article 7 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et article 113-1 du code pénal

{15} BENEJAT M., « Les relations du droit pénal et de la bioéthique », AJ Pénal 2012, p.392 {16} BENEJAT M., « Les relations du droit pénal et de la bioéthique », AJ Pénal 2012, p.392

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