Cet éclairage a été publié pour la première fois par Léa DOS SANTOS, en avril 2023, dans La Revue n°12.
Les infractions qui protègent l’honneur figurent dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Parmi ces atteintes à l’honneur, on retrouve la diffamation (I) et l’injure (II) à l’article 29 de cette même loi.
Pour mieux comprendre comment ces infractions sont constituées et en quoi elles se différencient, on les étudiera successivement.
Afin de pouvoir plus facilement comparer les infractions, se trouve un schéma récapitulatif à la suite des développements.
I) La diffamation
Il convient d’analyser les éléments constitutifs de la diffamation (A) puis les faits justificatifs (B) qui, s’ils existent, vont venir supprimer toute responsabilité pénale et permettre quelquefois d’éviter les sanctions prévues pour cette infraction (C).
A. Les éléments constitutifs de la diffamation
L’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».
Les conditions préalables de la diffamation sont la publicité et la victime identifiable.
La diffamation est caractérisée par un élément matériel (1) et un élément moral (2).
1. L’élément matériel de la diffamation
L’élément matériel de l’infraction requiert l’expression d’un fait diffamatoire précis. La diffamation peut être exprimée de diverses manières, à savoir, par allégation, imputation, publication ou reproduction.
L’allégation est le fait d’affirmer mais de manière mal fondée voire mensongère. L’imputation, quant à elle, désigne le fait d’affirmer l’existence d’un fait en se basant sur des contestations personnelles. La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 23 novembre 1993[1], considère que « des faits d'indélicatesse ou d’improbité » peuvent être considérés comme une allégation constitutive d’une diffamation.
Le fait exprimé doit être un fait attentatoire à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel il est imputé.
Par exemple, dire que Madame X a eu une promotion car elle a eu des relations intimes avec son supérieur constitue une diffamation.
2. L’élément moral de la diffamation
L'élément moral de la diffamation est l'intention de nuire ou de porter préjudice à la personne visée. En d'autres termes, pour qu'il y ait diffamation, il faut que l'auteur des propos ou des écrits ait agi avec l'intention de causer du tort à la personne en question.
L'intention est caractérisée par un dol général c’est-à-dire qu’il faut que l’auteur ait conscience de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne.
La particularité de l'élément moral de la diffamation est qu’il y a une présomption simple de mauvaise foi à partir de l'élément matériel. En effet, la jurisprudence considère, de manière constante, que l’intention délictuelle résulte de l’imputation diffamatoire elle-même[2].
B. Les faits justificatifs de la diffamation
L’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 pose un fait justificatif, à savoir, la vérité du fait diffamatoire. L’exception de vérité ne joue pas sur un élément de la vie privée. Par exemple, la personne qui raconte que son voisin trompe sa femme ne peut s’en prévaloir même si cela s'avère être vrai.
Ce fait doit être invoqué en respectant une procédure particulière posée par les articles 55 et suivants de la loi.
Parfois, la jurisprudence admet que la diffamation soit justifiée par la bonne foi du prévenu. Il arrive que l’imputation d’un fait précis diffamatoire ne cherche pas nécessairement à porter atteinte à la considération ou à l’honneur mais par le souhait d’informer le public. Le renversement de la charge de la preuve est compliqué mais la Cour de cassation a déjà admis la preuve de bonne foi lorsque les propos font partis d’un débat d’intérêt général et que l’auteur peut opter pour un ton polémique[3].
C. La répression de la diffamation
La diffamation peut consister en un délit ou une contravention. L’article R. 621-1 du Code pénal sanctionne la diffamation non-publique envers une personne d’une amende prévue pour les contraventions de première classe (à savoir 38 euros d’après l’article 131-13 du Code pénal). La diffamation est non-publique dès lors que les propos diffamatoires sont proférés dans un cadre strictement privé et qu’aucun public étranger n’est susceptible de les avoir entendus ou lus. Par exemple, par sms, par lettre ou par email.
La diffamation commise contre un particulier est punie par l’article 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 d’une amende de 12 000 euros. Les alinéas 2 et 3 prévoient des peines à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, ou l’une de ces deux peines, lorsque l’infraction est commise contre une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.
L’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne la diffamation commise envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air et de l’espace, les corps constitués et les administrations publiques d’une amende de 45 000 euros.
L’article 31 de la même loi prévoit les mêmes peines pour la diffamation commise à raison de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou un agent de l’autorité publique, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition.
L’article 34 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne la diffamation dirigée contre la mémoire des morts lorsque son auteur a eu l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers.
II) L’injure
Il convient d’analyser les éléments constitutifs de l’injure (A) puis les faits justificatifs (B) qui, s’ils existent, vont venir supprimer toute responsabilité pénale et enfin, de voir comment l’infraction est sanctionnée (C).
A. Les éléments constitutifs de l’injure
L’injure est caractérisée par un élément matériel (1) et un élément moral (2).
1. L’élément matériel de l’injure
L’article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme « Toute expression outrageante (α), termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait (β). ».
α) Une expression outrageante
Alors même que le texte ne le précise pas, l’expression outrageante, les termes de mépris ou d’invective portent nécessairement atteinte à l’honneur ou à la considération. On ne peut pas considérer que des mots en raison de leur seule nature constituent une atteinte.
L’expression outrageante est une offense grave de fait ou de parole. Le terme de mépris est un propos par lequel on considère quelque chose ou quelqu’un comme indigne d’estime ou d’intérêt. L’invective renvoie à l’insulte, le discours violent et insultant contre quelqu’un.
Le contexte est très important pour qualifier ou pas l’injure. Par exemple, dans un arrêt rendu par l’Assemblée plénière le 25 octobre 2019[4], les juges du fond ont considéré que les propos n’avaient pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression car ils avaient été publiés dans un journal revendiquant le droit à l’humour et à la satire. Les juges raisonnent de manière à faire la balance entre la protection de l’honneur des personnes et la protection de la liberté d’expression.
Il convient de préciser que la contextualisation ne doit pas tenir compte de l’appréciation subjective par la partie civile. La Cour de cassation affirme qu’il appartient aux tribunaux de relever toutes les circonstances de fait extrinsèques qui donnent une portée injurieuse à ces écrits ou imprimés qui ne présentent pas par eux-mêmes de caractère injurieux et qui sont de nature à révéler au public leur véritable sens.
Dans le même arrêt du 25 octobre 2019[5], l’Assemblée plénière précise que si la dignité est de « l’essence de la Convention européenne des droits de l’homme », elle ne peut pour autant être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression. En effet, comme la notion de dignité n’est pas précise, on pourrait considérer que l’injure porte nécessairement atteinte à la dignité et donc doit être réprimée.
β) L’absence d’imputation d’un fait précis
Cet élément constitue toute la différence avec l’infraction de diffamation. En effet, contrairement à la diffamation, l’injure ne requiert pas l’imputation d’un fait précis. L’injure ne peut se justifier par la vérité du fait diffamatoire.
2. L’élément moral de l’injure
L’injure est une infraction intentionnelle et implique la volonté de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne. La personne qui emploie des expressions outrageantes ou des termes de mépris ne peut ignorer blesser l'honneur ou la considération de la personne. L’auteur veut inévitablement parvenir à ce résultat et contrairement à la diffamation, il n’est pas possible de prouver la bonne foi de l’auteur.
B. Les faits justificatifs de l’injure
Contrairement à la diffamation, la preuve de la vérité du fait diffamatoire n’est pas admise comme fait justificatif de l’injure. En outre, même si les propos sont véridiques, la personne qui les a tenus peut être condamnée si elle a commis une faute dans la manière de les exprimer (par exemple, en utilisant un ton excessivement violent). Ce refus de l’exceptio veritatis est logique car il est compliqué de prouver que Monsieur X est effectivement un salaud.
Néanmoins, l’article 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 précise que l’injure précédée de provocations ne peut être punie. La jurisprudence précise que, pour être considéré comme une excuse de provocation, il faut une relation directe, matérielle et temporelle, entre l'injure et la provocation[6]. Par exemple, la Cour a considéré que les propos injurieux d'une personne émis en réponse à une question d'une journaliste animée d'aucune intention malveillante ne peuvent être justifiés par une excuse de provocation alors même que celle-ci soutenait avoir réagit comme ça suite à un raisonnement alléguant son antisémitisme. Il ne s'agissait pas d'une riposte immédiate et irréfléchie aux propos de la partie civile. En effet, les propos doivent constituer une riposte immédiate et irréfléchie[7].
Également, dans un arrêt du 13 avril 1999[8], elle exige la condition de proportionnalité entre la provocation et l’injure en réponse.
C. La répression de l’injure
L’injure non publique est incriminée par l’article R. 621-2 du Code pénal, elle est sanctionnée par une amende des contraventions de première classe à savoir 38 euros au plus.
Lorsque l’injure est publique, elle constitue un délit sanctionné par l’article 33 qui retient les mêmes distinctions quant à la qualité de la victime que celles pour la diffamation.
L’injure contre les particuliers est punie d’une amende de 12 000 euros. L’infraction est aggravée et les peines sont portées à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise à raison de l’origine de la victime, de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap.
L’injure contre les personnes visées aux articles 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 est punie d’une amende de 12 000 euros.
L’injure contre la mémoire des morts est sanctionnée à l’article 34 de la loi du 29 juillet 1881. L’injure contre la mémoire des morts n’est punissable que lorsqu’elle est employée comme moyen indirect de porter atteinte à l’honneur des vivants.
Léa DOS SANTOS
[1] Cass. Crim., 23 novembre 1993, n°92-85.771
[2] Cass. Crim., 22 mars 1966, n°65-90.914
[3] Cass. Crim., 28 juin 2017, n°16-80.066
[4] Cass. Crim., 25 octobre 2019, n°17-86.605
[5] Ibid.
[6] Cass. Crim. 10 mai 2006, n°05-82.971
[7] Cass. Crim., 24 novembre 2009, n°09-83.256
[8] Cass. Crim., 13 avril 1999, n°98-81.625
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