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Photo du rédacteurLes Pénalistes en Herbe

La justice pénale a-t-elle besoin de symboles ?

Dernière mise à jour : 29 nov. 2023




La communication avec les acteurs du procès est sensible et ne passe pas par le langage.[1]


Cette citation d’Antoine Garapon expose que selon lui, le rituel judiciaire est un moyen de reconnaissance pour les justiciables, une permanence qui assure une communication, transmet un message, sans besoin d’aucune parole. Le rituel judiciaire est la parole de la Justice.


La Justice est mère de symboles, et d’autant plus dans ses salles d’audience pénale. Le symbole représente un concept, en est l’image, l’attribut ou l’emblème[2]. Ce dernier s’inscrit dans un rituel, une coutume immuable[3].

La prégnance des symboles donne à ces lieux l’envergure de ce que représente la Justice. Le rituel judiciaire s’interprète sous différentes formes ; qu’elle soit matérielle avec les robes des professionnels de justice, qu’elle soit formelle avec la gestion de l’ordre et des temps de parole, ou même qu’elle soit fictive avec le plus ancien symbole de la fonction de juger[4], la balance. Il est polymorphe ; sa déclinaison la plus communément évoquée ou constatée : la robe des professionnels judiciaires. Qu’il s’agisse des magistrats, des avocats, des greffiers, ou encore des commissaires de justice ; la robe est un symbole caractéristique de la Justice. Toutefois, il est également possible de citer la disposition de la salle d’audience, l’ordonnancement du temps, les box des accusés, les tableaux avec des représentations de la Justice, notamment la balance et les yeux bandés, ou encore Thémis, déesse grecque de la Justice.

La Justice fait partie de ces corps qui n’ont pas abandonné les symboles inhérents à leur statut. En effet, fut une époque où la Justice n’était pas le seul domaine porteur de symboles. Ce fut notamment le cas des médecins avec leur soutane, ou des instituteurs avec leur tenue noire, d’où leur appellation d’hussards noirs de la République sous la IIIe République. Le symbole imprégnait notre société.


L’audience pénale ne fait pas exception de cette symbolique, elle est au contraire celle qui en conserve le plus. Elle est parfois considérée comme une justice d’apparat, ainsi une justice cérémoniale. Les faits divers font partie du quotidien contemporain, ils intéressent autant qu’ils révulsent les masses, à tel point que les chroniques judiciaires font l’objet de reportages, émissions, séries, films, etc. Pour une partie de la doctrine, la Cour d’assises est même considérée comme la vitrine de la justice pénale en France, du fait de son cérémonial particulier et très prégnant.

"Dès lors, est-il nécessaire pour rendre Justice d’user de ce cérémonial ? En d’autres termes, le rituel judiciaire est-il un poids nécessaire dans l’œuvre de Justice ?"

La Justice a toujours fait état d’un symbolisme prégnant. Conduisant à des remises en cause de ce cérémonial d’antan, pouvant paraître en inadéquation avec la société contemporaine (I). Toutefois, le rituel judiciaire reste immuable face à ces critiques, son existence n’est pas discutée, même si certaines de ses composantes peuvent l’être (II).



I) Le rituel judiciaire, entre usage et remise en cause

A. La permanence du rituel, gage de bonne administration de la Justice


XVIe siècle. Docteur des lois ; Bruxelles : Librairie historique-artistique, 184, t. 2, planche 19. Illustration issue du site de la Cour de cassation[5]



Cette représentation est une illustration du costume au Moyen-Âge des professionnels du droit, d’après les manuscrits, peintures, et monuments contemporains.

Cette œuvre permet de constater que dès le Moyen-Âge le costume est signe d’une fonction, il est la marque du savoir de la personne.


L’idée de l’incarnation de la Justice est une conception ayant traversé les époques. Le besoin de symbole pour affirmer une autorité, une valeur, une vertu au sein des pouvoirs régaliens semblait nécessaire. Le cadre impose la rigueur, la permanence. Il est possible de parler de permanence de la Justice via ces symboles puisqu’ils sont intemporels, et donnent une stabilité à la Justice. Elle ne fluctue pas, elle se conforte dans ce qui la constitue.

Les symboles donnent un cadre. Ainsi, sans aucune intervention, sans aucun débat, l’œuvre de Justice opère d’ores et déjà. Les symboles s’inscrivent jusque dans les lieux de Justice. En effet, les tribunaux ont été inspirés dans leur architecture des temples grecs pour la plupart, avec des colonnades, des devantures imposantes. Ils incarnent de ce fait des lieux de démocratie.


Durant l’audience, les symboles maintiennent leurs effets, la communication, le langage, l’attitude seront adaptés au cadre donné. Cette réponse spontanée au rituel fut évoquée par l’historien français Paul Veyne, en ce que « Les rites font mais ne parlent pas ». En effet, le rituel est objectif, il ne s’adapte pas aux intervenants, il conforme tous les justiciables à un même cadre.

De ce constat, il semble que le rituel judiciaire soit gage d’égalité entre les individus. Il importe peu le statut ou la classe sociale des parties puisque la salle d’audience sera la même, la loi sera la même. *Il existe de petites exceptions à cette permanence, notamment la Cour de Justice de la République pour les membres du gouvernement pour les infractions commises dans le cadre de leur fonction.


Au-delà des vertus de permanence et d’égalité, le symbole permet aux magistrats d’assurer une distance entre leur personne et la Justice. Antoine Garapon évoquait à cet égard que « juger est une mise à distance permanente, un travail commencé par le symbole et achevé par la parole ». Dès lors, le symbole permet aux juges de remplir leur mission, mais également de l’émanciper de lui-même, en ce qu’il n’est que sa fonction. Il se conforme au rituel pour n’être que l’acteur de la Justice, remplir un devoir guidé par des symboles et des normes. Ce cadre le protège des influences extérieures.


Le rituel judiciaire semble nécessaire en ce qu’il s’inscrit dans un usage permanent, et place chaque intervenant dans la position qui lui revient. Le magistrat rend justice en tant que professionnel habité par sa fonction. Le mis en cause se retrouve, avant tout jugement, confronté au poids de la Justice, et ainsi, de sa potentielle responsabilité. La victime et/ou partie civile trouvera une forme de reconnaissance par l’État au travers de la symbolique judiciaire. Cependant, le symbole peut aussi représenter un poids inutile, voire attentatoire à la bonne administration de la Justice.


B. Un poids symbolique dommageable et dépassé ?


« Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginaire ? ( …) Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire. Et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés. », Blaise Pascal dans son ouvrage Pensées, met en garde les individus contre la fascination charismatique due aux symboles attachés à leur fonction, dont celle à l’égard des magistrats.


"De nombreuses craintes sur la persistance de ces symboles ont été évoquées au cours du temps, soulevant de nombreuses interrogations : n’est-ce pas un exhibitionnisme impudique ? Le rituel n’impose-t-il pas une violence symbolique injustifiée ?"

Parmi les avis défavorables à ces symboles, il y a les difficultés de compréhension du justiciable dans cette Justice symbolique, et les difficultés de compréhension d’une Justice empreinte de symbole imperméable aux singularités d’une affaire. La crainte réside dans un manque d’appréhension respective entre demandeur et corps judiciaire. Ces symboles seraient si inflexibles et impératifs qu’ils éloigneraient le véritable fond à juger lors des audiences. Le poids serait si lourd à respecter pour les magistrats, et à appréhender pour les justiciables, que le véritable litige serait placé au second plan. Notamment, des justiciables qui seraient écrasés par cette symbolique pesante, et s’imposant à eux au cours d’une affaire. Par exemple, lorsque les justiciables ne se lèvent pas au début d’une audience à l’arrivée de la Cour, par ignorance du symbole. Ce rituel perturberait l’œuvre de Justice.


De plus, certaines critiques concernent également le ressenti d’inégalité dans la disposition des salles d’audience pénale. En effet, les magistrats du siège sont placés sur une estrade face au public, le ministère public pris en la personne du procureur, ou d’un de ses substituts, se place également sur l’estrade sur un des côtés des magistrats du siège, et de l’autre côté sera le greffier. En face se trouveront les parties, qu’il s’agisse du mis en cause ou de la victime toutefois, le mis en cause faisant l’objet au moment de l’audience d’une mesure de privation de liberté se trouvera pour sa part dans le box, souvent vitré, sur un des côtés de la salle.

Voir schéma ci-dessous.



Chaque intervenant à son « rôle », sa position. Les magistrats du siège sont les juges, ce sont eux qui, le plus couramment, de manière collégiale statuent sur l’affaire au fond. Le magistrat du parquet représente le Ministère public, il protège l’ordre public, il défend les intérêts de l’État. Puis les parties défendent leurs prétentions, avec un mis en cause, et des victimes ou parties civiles, même si leur absence peut être possible.

De manière grossière, le procès opposera majoritairement le mis en cause, ainsi la défense, au parquet. Toutefois, au regard de la disposition de la salle, le parquet est surélevé par rapport à la défense, il est au même niveau que les juges. Cette représentation peut induire un sentiment d’inégalité des armes pour le défendeur. En effet, des requêtes avaient été portées jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme sur ce point. Toutefois, la Cour a estimé à plusieurs reprises qu’il n’y a pas une atteinte à l’égalité des armes, puisque malgré cette position physique “privilégiée” du procureur dans la salle d’audience, l’accusé n’était pas placé dans une situation de désavantage concret pour la défense de ses intérêts[6].


Dès lors, ce cadre permanent, immobile et pourtant impactant, trouve aussi un retentissement négatif. Puisqu’en effet, Antoine Garapon évoquait que « Le cadre est la part refoulée qui agit sans qu’on le perçoive ». Ainsi, ce positionnement surélevé dans la salle d’audience, les tours de parole, l’usage de la cloche qui retentit et de la salle qui se lève pour l’entrée de la Cour ; tous ces éléments interviennent inconsciemment, et peuvent altérer le sentiment d’égalité devant la Justice, d’égalité des armes, mais aussi induire un sentiment de crainte ou d’inconfort face aux poids de ces usages.


Plus récemment, des nouvelles formes de procédure ont pu tendre vers cette dé-symbolisation. En effet, le cadre judiciaire a évolué dans le temps. Initialement la Justice était rendue dans le bureau du juge, puis par procédure écrite, pour finalement se retrouver dans les salles d’audience. Cette évolution peut s’étudier au regard des procédures accusatoires et inquisitoires. La procédure accusatoire étant un affrontement contradictoire, public et oral, et la procédure inquisitoire étant généralement écrite, souvent secrète et plutôt non contradictoire[7]. Ainsi la procédure accusatoire serait un lieu de symboles, tandis que l'inquisitoire en est moins vectrice, comme c’est le cas avec le juge d’instruction. De plus, actuellement, de nombreux domaines judiciaires sont traités en chambre du conseil, dès lors dans le cabinet du juge. C’est le cas, au pénal, du juge de l’application des peines, du juge des libertés et de la détention. Il est également possible d’évoquer les procédures correctionnelles sur dossier, comme les amendes forfaitaires, qui sont complètement dématérialisées. Cette évolution dans la manière de rendre des décisions de justice permet un contact direct avec le magistrat, et une discrétion qui serait porteuse d’une Justice plus humaine.

Ainsi, la Justice ne serait plus véritablement assujettie aux symboles, elle tend vers d’autres objectifs qui conduisent à parfois écarter le rituel judiciaire. C’est le cas dans la matière pénale des poursuites alternatives avant jugement qui peuvent, en fonction de l’alternative choisie, sortir intégralement du cadre ritualisé judiciaire.


Mais dès lors, la suppression de nos symboles judiciaires serait-elle dommageable pour rendre Justice ? Il n’est pas certain que ces symboles soient nécessaires, inconditionnels, à l’œuvre de Justice. En effet, aux États-Unis les symboles judiciaires dans les tribunaux ont quasiment tous disparu. Au sein de ces derniers les murs sont nus, les meubles peuvent être déplacés, et l’avocat est libre d’occuper tout l’espace.

Néanmoins, cet abandon d’une partie des symboles aux États-Unis n’induit pas la disparition de tous les symboles, puisqu’en effet les magistrats conservent la robe, ils ont le marteau pour ouvrir, suspendre et clôturer une audience. Également, les témoins jurent sur la bible, ou font une déclaration solennelle. La justice américaine est empreinte de symboles ayant aussi une origine religieuse.

Ces divergences peuvent s’expliquer par les différences culturelles, et les histoires respectives des pays. L’histoire de la Justice dans chaque pays contribue énormément à la construction, au maintien ou à la désuétude de ces symboles.


Force est de constater que le rituel judiciaire emporte avec lui l’assurance d’une Justice constante et invariable, malgré quelques zones d’ombres. Toutefois, l’évolution législative de la procédure pénale conduit, peu à peu, à un effacement du rituel judiciaire face à un mouvement de déjudiciarisation. Celui-ci n’empêchant pas la persistance et l’immuabilité de certains symboles, mais également la remise en cause d’autres.


II) L’immuabilité du rituel face à des symboles discutés et indiscutables

A. Le box du mis en cause : un symbole discuté


Dans les salles d’audience un endroit spécifique est prévu pour les mis en causes : le box. Ce dernier est souvent entouré par une paroi en verre, il arrive qu’il ne le soit pas. Il est la matérialisation de la séparation entre le public, la Cour, les autres parties, et le mis en cause, l’accusé, le prévenu, celui à qui l’infraction est reprochée.


Illustration : box vitré du Tribunal judiciaire de Strasbourg


La présence du box dans les salles d’audience pénale n’est pas une nouveauté dans le paysage judiciaire. La jurisprudence, et plus précisément, la chambre criminelle fait état de ces équipements au sein des prétoires dès les années 80. Les juges de cassation faisaient état d’un « enclos de verre, à l’intérieur duquel les accusés étaient libres de leurs mouvements, comportait des aménagements permettant à chacun d’eux de communiquer librement et secrètement avec son conseil […] n’a apporté aucune entrave à la liberté de la défense des accusés » (Crim 15 mai 1985 n°84-95.752). En l’espèce, au-delà de faire état de l’existence de ces équipements, les juges de cassation précisent leur conformité avec les principes directeurs de la procédure pénale, notamment les droits de la défense. Dès lors, ce nouveau symbole de la justice pénale de l’époque, en plus d’être consacré en dehors de tout texte normatif, est considéré conforme aux exigences du procès pénal.


L’unique mention de la situation du mis en cause lors de l’audience pénale réside à l’article 318 du Code de procédure pénale, en ce que « l’accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l’empêcher de s’évader ». Également, les articles suivants à ce dernier font état de la possibilité pour le président de contraindre l’accusé par la force publique s’il refuse de comparaître, ou s’il n’obtempère pas, ou s’il trouble l’ordre de l’audience.

Ainsi, malgré une absence de mention de ces box au sein du Code de procédure pénale, un arrêté du 18 août 2016 portant approbation de la politique ministérielle de défense et de sécurité a préconisé de généraliser les « espaces fermés destinés à accueillir les prévenus retenus sous escorte » dans les prétoires des tribunaux correctionnels, cour d’assises et cour criminelles départementales, sous deux formes alternatives : un espace entièrement vitré, ou un vitrage des faces latérales avec barreaudage en façade. Cette généralisation intervient pour prévenir les risques d’évasions, d’agressions, et afin de renforcer la sécurité des bâtiments judiciaires face à la menace persistante des attentats terroristes à cette époque (fait suite aux attentats de 2015).


Par suite les box vitrés se sont multipliés au sein des prétoires, au rythme des rénovations des tribunaux existants. Ce besoin d’un lieu fermé dédié au mis en cause semble répondre à un besoin de rituel également. Le rituel doit être d’autant plus prononcé à mesure que les intérêts moraux de la société sont directement menacés. Le rituel marque la présence de la loi, il donne les enjeux, et le box en est l’illustration parfaite puisque dans de multiples cas c’est la liberté de l’individu qui s’y joue, son incarcération, se retrouver enfermé comme dans ce box, à l’écart de la société.


"Ce symbole de la mainmise de la Justice sur le mis en cause interroge sur la conciliation de cet équipement avec les droits fondamentaux comme la dignité humaine et les droits de la défense ?"

En effet, lorsque le mis en cause est dans le box, la communication avec son conseil est rendue compliqué, sa participation aux débats peut parfois être complexe, mais également, l’image renvoyé aux personnes présentes dans la salle d’audience peut conduire à le présenter comme le responsable en amont de toute décision de justice, ce qui serait une atteinte à la présomption d’innocence. La séparation matérielle de l’individu mis en cause durant l’audience renforce un sentiment de dangerosité, voire de potentielle culpabilité. Sur ce point, Fabrice Defferrard dans son ouvrage Le suspect dans le procès pénal évoquait qu’il « existe un lien psychologique entre l’apparence physique du suspect, telle qu’elle est montrée, et la conviction selon laquelle il est coupable d’un délit ou d’un crime ». Si l’apparence impacte l’a priori sur l’individu mis en cause, la vision de ce dernier dans le box est nécessairement un élément déterminant de cette perception.

Ceci corrèle avec le fait que le rituel dans sa manifestation matérielle impacte la perception des acteurs du procès. En effet, le port de la robe renvoie une image de ceux qui la portent, en ce que les justiciables y verront des professionnels du droit, et ceux qui la revêtent y verront un signe de leur appartenance à l’œuvre de Justice. De plus, la disposition des intervenants dans la salle d’audience impacte l’a priori de leur statut, responsabilité et rôle, notamment la place du mis en cause dans un box au sein d’une salle d’audience.

La manière dont un individu est présenté impacte la perception que l’on en a. Ceci explique l’interdiction de photos dans la presse d’un mis en cause menotté[8] par exemple. Certaines dispositions ont été prises pour endiguer ces marqueurs de culpabilité, cependant les box vitrés n’en ont pas fait l’objet, et restent dès lors une véritable source de débats dans le monde judiciaire.


La multiplication des box et les débats qu’ils ont suscités ont conduit le Défenseur des droits à rendre un avis sur ces derniers le 17 avril 2018[9]. Il énonçait « l’actuel dispositif des box sécurisés dans les salles d’audience constitue […] une restriction aux droits de la défense : qualité des échanges, confidentialité, transmission des documents, accès des personnes à mobilité réduite ; une atteinte à la présomption d’innocence ; et contrevient au droit de l’Union européenne », et de plus, « le recours systématique aux box vitrés ou à barreaux porte […] atteinte de manière disproportionnée aux droits fondamentaux des personnes prévenues ou accusées lorsqu’elles sont détenues ».

Ce positionnement marque la difficile conciliation entre la volonté de protection et de sécurisation des salles d’audience, et le respect des droits fondamentaux. Cependant, il est possible de comparer les box français aux box américains, ces derniers n’étant pas exclusivement réservés à l’accusé, au contraire, ils sont à la disposition de tous les accusés et témoins pour s’y succéder et témoigner. Ainsi, le box pourrait ne pas être un marqueur de culpabilité, tout en restant un symbole de la justice pénale.


La Justice ne saurait se départir de ses symboles, au risque d’en être déstabilisée, et ce, d’autant plus lorsque celui-ci est une composante constante et intemporelle de l’autorité judiciaire.


B. La robe, l’évidence du symbole













Robe des magistrats[10] Robe des hauts magistrats[11] Robe herminée


La robe est le symbole par excellence de la Justice. Il est connu de tous, reconnaissable par tous, et incarne une fonction, un corps judiciaire. Il s’agit de l’un des plus anciens usages en vigueur dans le monde judiciaire. En effet, dès le Moyen Age les juges portaient la robe toute la journée, en toute occasion. Durant l’Ancien Régime les magistrats supérieurs portaient la robe rouge, et les autres magistrats la robe noire, une couleur en lien avec leur origine cléricale. Au milieu du XVIème siècle il y eut un déclin de la robe pour la jaquette, adoptée par la noblesse et la bourgeoisie. Toutefois, le Roi, les magistrats et hommes de loi n’adoptèrent jamais la jaquette, préférant conserver la robe. Actuellement, la robe est portée au Palais, mais surtout en audience pour les magistrats, avocats, greffiers, et commissaires de justice. D’autant que ce port est protégé, puisqu’il fait l’objet d’une infraction en cas de port public et sans droit d’un costume, un uniforme ou une décoration réglementés par l'autorité publique[12]. Toutefois quelques magistrats procèdent à certaines audiences sans robe, c’est le cas notamment du juge des enfants, du juge de l’application des peines, ou encore du juge d’instruction.


De plus, la robe fut agrémentée d’une hermine. Cette écharpe particulière blanche herminée de noire est portée par les hauts magistrats. Elle symbolisait l’honneur inébranlable. Au-delà de l’hermine, la robe est également assortie d’un rabat, assimilé à un col. Enfin, à l’origine la robe était suivie d’une longue queue, assimilée au costume royal suivi d’une traîne. Désormais cette traîne, moyen de mise à l’écart, a été relevée à l’intérieur et fixée par un crochet. Enfin, la robe des avocats portait un symbole d’autant plus singulier. En effet, cette dernière était ornée de 33 boutons représentant l’âge du Christ à sa mort; ils sont aujourd’hui moins nombreux.

Au regard de ces ajouts vestimentaires il est possible de constater qu’il y a une forme de survivance de la monarchie, du religieux par le biais de ces symboles persistants dans le temps.

Ainsi, le port de la robe relève principalement de la coutume, même s’il trouve malgré tout un support textuel. En effet, le décret du 2 nivôse an XI[14] en son article 6 décrivait les robes objets de cette obligation vestimentaire comme « une toge de laine, fermée par-devant, à manches longues, toque noire, cravate pareille à celle des juges ». Le texte interdit dans un même temps le port de la perruque et de la moustache. Spécifiquement pour les avocats, le port de la robe est régi par l’article 3 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.



Robe d'avocat[13]


La robe permet aux professionnels du droit de revêtir leurs devoirs, de marquer une rupture entre les individus qu’ils sont et les professionnels. Elle protège celui qui la porte, il se départit de sa personne pour incarner sa fonction. De plus, c’est un moyen qui limite l’identification du professionnel, ce qui constitue un gage de protection.

Au surplus, la robe permet l’identification de la fonction de la personne qui la porte. Elle permet également, au travers de son effacement en tant qu’individu, de lui rappeler la supériorité de l’institution sur l’Homme. Ainsi, le professionnel n’endosse pas subjectivement la responsabilité de sa fonction, mais il est habité par sa robe. En la portant, les professionnels n’ont qu’un corps, celui de leur fonction.


Malgré son usage ininterrompu, la robe a pu faire l’objet de critiques. En effet, la fonction protectrice de la robe fut dénoncée par Alexis de Tocqueville, qui énonçait « Quand je vois, parmi nous, certains magistrats brusquer les parties ou leur adresser des bons mots, lever les épaules aux moyens de la défense et sourire avec complaisance à l’énumération des charges, je voudrais qu’on essayât de leur retirer leur robe, afin de découvrir si, se trouvant vêtus comme les simples citoyens, cela ne les rappellerait pas à la dignité naturelle de l’espèce humaine »[15]. Cette protection ne doit pas muter en une surprotection de sorte que ces professionnels se sentent intouchables. Le symbole ne doit pas outrepasser sa fonction, au risque d’atteindre les principes généraux du droit. Elle doit rester le rappel de la loi, de sa présence ; elle en est le sceau.

"Selon la Cour de cassation[16], la robe s’inscrit dans une stabilité du cérémonial et de la symbolique de son message de la fidélité de la magistrature à des valeurs fondamentales d’exigence et de rigueur, d’autorité et d’intégrité, d’indépendance et de responsabilité. Elle incarne la solennité et la dignité de la fonction. Par son port, le juge s’efface dans son individualité au nom de la collégialité, elle lui rappelle les charges et devoirs qui pèsent sur lui."

La robe, malgré les quelques critiques, reste l’habit du professionnel de justice. Tout acteur du monde judiciaire devant revêtir cette lourde tenue noire assure de la nécessité de ce symbole. Malgré la mise en place de très longue date, elle reste un symbole de protection, d’indépendance, d’appartenance, de responsabilité, et autres vertus, toute aussi importante et nécessaire à l’œuvre de rendre Justice.

Nonobstant cette attache indéfectible, la commission de la “Cour de cassation 2030” suggère une évolution de la robe, en préconisant “d’en alléger le port, de choisir des matériaux plus adaptés aux enjeux écologiques et économiques actuels, de gagner en sobriété dans un objectif de modernité et d’intelligibilité qui paraît aujourd’hui plus que jamais nécessaire”.




Pour conclure, le rituel judiciaire est dense et lourd. Il ne s’improvise pas. Il est un cadre unique à tous. Malgré ces failles et défauts, il reste un élément de taille pour la bonne administration de la Justice. Le symbole est cette force invisible qui œuvre aux côtés des acteurs judiciaires pour assurer la mission de rendre Justice.

Le symbole est un acteur à part entière.


Cependant, le rituel judiciaire est perpétuellement confronté à de nouveaux défis. L’avènement des audiences par visioconférence, ou encore des audiences filmées, interroge sur le devenir du cérémonial judiciaire.

Selon Jean Lacroix, « Les Folies-Bergères, et souvent les assises, font du spectacle. Les premières réalisent leur nature. Mais l’erreur des assises est de devenir fréquemment, contre leur nature, un lieu de spectacle et de spectacle qui ne devrait jamais devenir objet de « regard » »[17]. Il y a une crainte que l’apparat conduise le procès pénal à devenir une attraction, un divertissement. Que devient le rituel judiciaire lorsque son lieu d’application se dématérialise ?



Mathilde SAUER


 

[1] Revue d’éthique et de théologie morale, La dimension cérémonielle de la reconnaissance dans la Justice, Antoine Garapon [2] Larousse [3] Larousse [4] https://www.cours-appel.justice.fr/nancy/les-symboles-de-la-justice [5] https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2022/07/25/la-robe-des-magistrats-heritage-et-symbolique [6] Chalmont c. France (déc.), no 72531/01, CEDH, 9 décembre 2003, Carballo et Pinero c. Portugal (déc.), no 31237/09, 21 juin 2011, Diriöz c. Turquie, no 38560/04, §§ 25-26, 31 mai 2012, et Eylem Kaya c. Turquie (déc.), no26623/07, 13 décembre 2016. [7] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/268594-procedure-penale-modeles-accusatoireinquisitoire [8] article 803 Code de procédure pénale [9] https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2018/04/avis-du-defenseur-des-droits-relatif-a-la-generalisation-des-box [10] https://www.compagnie-du-costume.com/costumes/tenues-de-fonction/ [11] https://www.compagnie-du-costume.com/costumes/tenues-de-fonction/ [12] Article 433-14 du Code pénal [13] https://www.compagnie-du-costume.com/costumes/tenues-de-fonction/ [14] Décret du 23 décembre 1802 des consuls du 2 nivôse an XI qui règle le costume des membres des tribunaux, des gens de la loi et des avoués (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000426913) [15] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Deuxième livre, 1840 [16] Cour de cassation, La robe des magistrats : héritage et symbolique (https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2022/07/25/la-robe-des-magistrats-heritage-et-symbolique) [17] Jean Lacroix, Philosophie de la culpabilité, Paris, Presses Universitaires de France, 1977


Bibliographie :

  • Bien juger (Chapitre XI. Justice sans scène), Antoine Garapon (2001)

  • La généralisation des box vitrés dans les juridictions pénales confrontée aux droits fondamentaux des mis en cause : une affaire de compromis, Thomas Besse, Revus trimestrielle des droits de l’Homme 2019/1 (n°117), p 67 à 79

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