Vous ne serez guère surpris si l’on vous affirme que nous vivons dans un monde où la violence est omniprésente. La violence, nous l’imaginons d’abord à travers des coups, des chocs physiques, des blessures, du sang. Mais si la violence est omniprésente, c’est parce qu’elle est multiple et dépasse en réalité une simple conception physique.
La violence est une notion difficile à définir tant elle peut être globale. Songeons par exemple à Pierre Bourdieu et à son concept de « violence symbolique » selon lequel il existerait une violence invisible permettant d’exercer une domination. De plus, la violence a aussi sa propre définition en droit civil, ou encore pour l’Organisation Mondiale de la Santé…[1].
L’origine du mot « violence » vient de « vis » en latin, qui signifie « emploi de la force sans égard à la légitimité de son usage ». En effet, rappelons que la violence peut être dite « légitime » et donc, non réprimée ; songeons par exemple à la légitime défense[2]. Ce n’est pas de cette violence-là dont il va être question, mais de la violence illégitime, perçue comme une atteinte aux valeurs sociales protégées par notre droit pénal à travers les articles 222-7 et suivants du Code pénal.
Dans l’origine latine du mot violence, on voit que « l’emploi de la force » est au fondement de la violence : il faut classiquement démontrer l’existence d’actes portant atteinte à l’intégrité physique de la personne -par exemple, des coups- pour qualifier la violence. Mais avec l’intégration des « violences psychologiques » dans notre code pénal, les possibilités de répression de la violence ont été considérablement étendues.
Il s’agira de se demander : comment les violences psychologiques sont-elles prises en compte aujourd’hui et quel cheminement a abouti à leur intégration dans le code pénal ?
La reconnaissance tardive des « violences psychologiques »
La répression des violences psychologiques n’est pas allée de soi ; il a fallu un certain temps pour que notre droit pénal l’admette enfin.
Initialement, dans le code pénal de 1810, il était question de « coups et blessures ». Il fallait donc que l’acte de violence implique un contact corporel avec la victime. Ainsi, le fait de donner une gifle à quelqu’un était considéré comme des « coups et blessures », mais pas le fait de cracher sur quelqu’un par exemple.
Puis, en 1863, les « voies de fait » ont été admises : c’est-à-dire, des violences sans coup ni blessure. Dès lors, le fait de jeter le contenu d’une tasse de café sur quelqu’un, ou de lui cracher dessus pouvait être réprimé ; il n’y avait plus besoin d’un contact entre deux corps.
Le problème à ce stade, c’est que même s’il n’y avait plus nécessairement de contact « peau contre peau », il y avait encore besoin d’une forme de contact -dans les exemples précités : entre le crachat et la personne, ou entre le café et la personne…-. Ainsi, pour poursuivre l’exemple précédent, il n’était pas possible de punir le fait de cracher volontairement à proximité du visage d’une personne -sans la toucher- pour la choquer.
Finalement, la violence « sans contact » a été admise dès 1892 par la jurisprudence : c’est en effet à ce moment que la Cour de Cassation a pour la première fois évoqué le terme de « violences psychologiques ». Elle faisait alors référence à un acte violent entraînant un « choc émotif » : lorsque la victime a été suffisamment impressionnée et a ressenti une « sérieuse émotion ».
Il a fallu cependant attendre la loi du 9 juillet 2010 pour que ces violences psychologiques soient intégrées dans l’article 222-14-3 du Code pénal en ces termes :
« Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques ».
Rappels généraux : distinction entre l’acte de violence et le résultat violent
L’acte de violence est à l’origine d’une atteinte à l’intégrité de la victime. Il peut s’agir, par exemple, d’un coup de poing ou d’un coup de pied.
Le résultat de la violence est cette atteinte, plus ou moins grave[3] ressentie par la victime. Cette atteinte peut être soit physique, soit psychique.
Une atteinte physique correspond, par exemple, à une blessure, à une plaie.
Une atteinte psychique peut s’illustrer par une affaire qui a eu lieu en 2002 dans laquelle un homme a jeté un gâteau sur un politicien[4]. Cet « attentat pâtissier » n’a pas causé de blessure à la victime, mais un « choc émotif » : la victime a été ridiculisée, c’est donc une violence psychologique. Dans cette affaire, il y a bien eu un acte de violence -le fait de jeter un gâteau sur une personne- mais qui n’a pas provoqué d’atteinte physique ; seulement une atteinte psychologique
L’étendue des violences psychologiques
La reconnaissance des violences psychologiques a été une véritable innovation en ce qu’elle a permis de réprimer un certain nombre de comportements, auparavant non pris en compte par le droit pénal. En effet, le « choc émotif » peut être ressenti à plusieurs égards : par exemple, par le biais de l’ouïe, -quelqu’un tire un coup de feu à côté de la victime-, de la vue -parution d’un faux avis de décès-, de l’odorat - jeter des boules puantes à proximité-…
Quant à l’étendue de la répression, des auteurs ont aussi pu s’interroger sur la nature de l’acte de violence à l’origine d’une atteinte psychologique -peut-il s’agir, par exemple, de propos humiliants ou vexants ? -mais ces réflexions ont peu de chance d'aboutir car il semble que ce genre de comportements soit déjà réprimé par d’autres infractions -comme le harcèlement, l’injure publique…-
Gladys KONATE
[1] Selon l’OMS, la violence est « l'utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l'encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès. »
[2] René Girard, la Violence et le Sacré : ouvrage intéressant qui parle notamment de la distinction entre violence légitime et illégitime
[3] Selon le résultat, la qualification de violence va changer. Par exemple, il faut distinguer les violences mortel les des violences ayant entrainé une incapacité temporaire de travail (ITT) supérieure à 8 jours. La peine sera différente.
Note : Les violences psychologiques peuvent elles aussi entrainer une ITT.
[4] Décision rendue par la 14ème chambre correctionnelle de Paris, le 11 octobre 2002
[5] Pour qualifier une infraction, il faut réunir ses éléments constitutifs. Dans les infractions intentionnelles, il s’agira d’un élément légal (fondement textuel), d’un élément matériel (l’acte, le résultat) et d’un élément moral (l’intention). Note : pour certains, les éléments constitutifs au sens strict ne comprennent que l’élément matériel et l’élément moral.
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