« Il faut concéder assez de temps et de moyens à l’accusé pour qu’il puisse se justifier ; mais ce temps doit être
suffisamment bref pour ne pas porter préjudice à la promptitude de la peine »
Cesare BECCARIA, Traité des délits et des peines, 1764
Dans un contexte judiciaire où la lenteur de la Justice est souvent décriée et où sa célérité l’est parfois tout autant, se dessine un équilibre précaire entre un temps suffisamment long pour que la Justice soit consciencieusement rendue et un temps suffisamment court pour que la Justice soit d’une qualité satisfaisante.
Au cours des dernières décennies, la temporalité du procès pénal a été modifiée. Par exemple, sont apparus ou ont été réformés, à grand renfort de considérations morales, sociales, sociétales ou philosophiques, les délais de prescription, les durées encadrant la phase préparatoire du procès pénal, les délais encadrant les mesures coercitives et les actes d’investigations… Ces encadrements se sont accompagnés d’autres mécanismes tels que les procédures accélérées ou les modes transactionnels de règlement des litiges devant le juge répressif.
La présente série d’articles a vocation à se focaliser sur l’articulation, voire la tension, entre l’objectif de célérité de la justice, les desiderata des justiciables et professionnels du droit et les impératifs posés pour assurer le respect des droits et libertés fondamentaux tels que les droits de la défense. À ces égards, ce qui semble être une recherche permanente d’efficacité et de rationalisation n’est pas sans poser question. Dès lors, le temps est-il une variable nécessaire mais contraignante au sein de la procédure pénale ?
Le facteur principal de distension de la phase préparatoire du procès pénal demeure la question des délais de prescription qui n’ont cessé d’être allongés (renvoi à l’article n°1). Pour autant, diverses lois sont venues encadrer la durée de la phase préparatoire du procès pénal, à plusieurs égards.
En effet, la volonté de rationaliser le temps des poursuites n’est pas une nouveauté en procédure pénale. Dès le XIXème siècle, le législateur avait prévu des mécanismes permettant de borner ce temps (I). Pour autant, cette tendance législative s’est accentuée au cours des dernières années (II) parallèlement au développement de la jurisprudence européenne rendue relativement à la question du délai raisonnable (III).
I. L’encadrement classique du temps des poursuites : focus sur la prescription en matière de presse
En matière de droit de la presse, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est la référence. Dès sa promulgation, son article 65 pose le principe d'une prescription dérogatoire raccourcie : les infractions de presse se prescrivent par 3 mois (renvoyer à la Revue n°12?).
« Cette durée excessivement courte »[1] trouve sa raison d’être dans l’objectif qu’elle poursuit : garantir la liberté d'expression. Pour autant, cette brièveté fait l’objet de critiques régulières puisque la prescription d'un délit de presse est 24 fois plus courte qu'en droit commun (un délit se prescrit en principe par 6 ans : art. 8 C.proc.pén.). Il s’agit là du seul délai de prescription si court, en droit pénal français.
Parallèlement, la loi prévoit que les règles communes d’interruption et de suspension de la prescription ne sauraient être applicables en la matière puisque « avant l'engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d'enquête seront interruptives de prescription » (art. 65 al. 2 L. 1881). Pour autant, une possibilité originale de réouverture des délais est prévue par le texte : « [e]n cas d'imputation portant sur un fait susceptible de revêtir une qualification pénale, le délai de prescription prévu [est rouvert] à compter du jour où est devenue définitive une décision pénale [...] » (art. 65-2 L. 1881).
Par exception, cette loi prévoit également un délai de prescription d’un an pour certaines infractions de presse au nombre desquels le délit de négationnisme, l’injure raciale et la diffamation raciste notamment (art. 65-3 L. 1881).
La multiplicité des délais tend à complexifier le fonctionnement de la Justice. Pour autant, les distinctions posées semblent être liées aux intérêts sociaux protégés et à la gravité des comportements commis.
Ainsi, le mécanisme créant une prescription dérogatoire par 3 mois est régulièrement justifié par l’idée qu’une infraction de presse touche plus directement le/la plaignant(e) que la société dans son entier (alors même que l’objet du droit pénal est de réprimer les transgressions du pacte social). Dès lors, il a semblé cohérent d’appliquer un délai extrêmement court pour que l’atteinte causée par l’infraction à l’honneur individuel puisse être oubliée aussi vite que les paroles prononcées se sont envolées.
Ces délais dérogatoires en matière de prescription ne sont toutefois pas les seuls mécanismes permettant le raccourcissement du temps de la phase préparatoire du procès pénal.
II. Le renouveau de la rationalisation : l’encadrement de la durée de l’enquête préliminaire
L’année 2021 a été porteuse de plusieurs réformes d’ampleur à l’occasion, notamment, de l’adoption de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. En effet et pour ce qui intéresse le raccourcissement de la phase préparatoire du procès pénal, cette loi permet d’encadrer la durée des enquêtes préliminaires commencées après le 23 décembre 2021. Le nouvel article 75-3 du Code de procédure pénale fixe alors à deux ans la durée initiale de cette enquête.
A noter : La loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 est venue modifier cette disposition. Elle s’applique aux enquêtes commencées après le 23 décembre 2021. D’une part, le point de départ du délai est modifié (alinéa 1). S’il s’agissait en 2021 du « premier acte de l’enquête, y compris si celui-ci est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance », il s’agit désormais du « premier acte d’audition libre, de garde à vue ou de perquisition d’une personne ». D’autre part, les conséquences procédurales (comprendre la nullité de l’acte intervenu) de la méconnaissance du délai sont modifiées (alinéa 3). En effet, le législateur avait posé une exception, souvent dépeinte comme obscure, en 2021. Lorsque l’acte concernait « une personne {ayant} été mise en cause au cours de la procédure {…} depuis moins de deux ans », le dépassement du délai n’emportait pas de conséquence procédurale. Cette exception a été supprimée par la loi du 20 novembre 2023. |
Si l’objectif poursuivi par la réforme semble devoir être salué, en ce qu’elle tend à éviter les enquêtes « éternelles », certains auteurs soulignent que « fixer des seuils maximaux ne signifie pas [...] que la réponse pénale interviendra avant l'expiration des délais fixés »[2]. Il ne s’agirait alors que d’un « renforcement en trompe-l'œil »[3] qui ne pourrait avoir pour effet, matériellement, de contraindre les enquêteurs à respecter les délais fixés par le texte. Des impératifs divergents sont en effet à relever en la matière. D’une part, l’enquête doit se dérouler à bonne vitesse pour que la Justice soit correctement rendue. D’autre part, la complexité de certaines affaires impose un certain temps pour ne pas dire un temps certain afin que la recherche de la vérité se fasse dans les meilleures conditions.
Ce nouvel article 75-3 du Code de procédure pénale encadre également la prolongation de la durée de l’enquête préliminaire. C’est là où le bât blesse. Les investigations peuvent être prolongées par la suspension du délai[4] et par le recours à des qualifications relevant de la criminalité organisée. D’ailleurs, la loi du 20 novembre 2023 prévoit une nouvelle possibilité exceptionnelle de prolonger les délais posés sur décision du procureur de la République (art. 75-3 al. 4 C.proc.pén.).
Donc, la portée du texte est affaiblie par les aménagements et dérogations. Alors, des interrogations naissent sur l'effectivité réelle du dispositif. Par exemple, des auteurs relèvent que « en 2020, seules 3,2 % des enquêtes préliminaires avaient été ouvertes il y a plus de trois ans… »[5].
Il ressort de ces considérations une volonté législative non équivoque de rationaliser le temps des poursuites. Pour autant, le législateur français n’est pas le seul à poursuivre cet objectif d’encadrement de la durée de la phase préparatoire du procès pénal.
III. L’influence de la Cour européenne des droits de l’homme : exigence de délai raisonnable et focus sur la détention provisoire.
L’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable {…} ». Cet article pose les garanties attachées au droit à un procès équitable. Pour qu’un justiciable puisse demander leur respect (ou arguer de leur non-respect) encore faut-il que les conditions d’application du texte soient réunies. Il faut que la cause soit portée devant un « tribunal » au sens européen du terme d’abord. Il faut que ce tribunal soit saisi d’une accusation en matière pénale ensuite. Tel est assurément le cas des dossiers pénaux en matière correctionnelle et criminelle.
L’exigence du délai raisonnable, qui devient un droit subjectif dont le créancier n’est autre que le prévenu ou l’accusé, a pour objectif d’éviter tous « retards propres à {…} compromettre l’efficacité et la crédibilité {de la justice} »[6].
Quant au terme “délai”, il couvre, par principe, l’ensemble de la procédure, y compris l’exécution de la décision rendue par les juges répressifs. Quant à l’appréciation du caractère raisonnable[7], « tout est affaire de cas d’espèce » [8]. En effet, l’appréciation se fait in concreto, selon les circonstances de l’affaire. Néanmoins, la Cour a posé, au gré de sa jurisprudence fournie sur la question, plusieurs critères d’appréciation : critères relatif à la nature du litige (complexité et enjeu pour le requérant), critère relatif au comportement des plaideurs et au comportement des autorités compétentes s’agissant de leurs rôles dans l’allongement de la procédure.
Plus spécifiquement, doit être abordée la question de la privation de liberté. La Convention européenne des droits de l’homme prévoit en effet, en son article 5§3, que « {t}oute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, {…} a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ». Cet article encadre donc la durée de la privation de liberté au titre de la détention provisoire. La violation de cette disposition ne laisse d’autre choix aux autorités que de remettre en liberté la personne concernée. Pour autant, elle est sans conséquence sur la validité de la procédure (comprendre qu’aucune nullité ne peut être prononcée). L’appréciation du caractère raisonnable se fait, sur ce fondement également, en fonction des circonstances de la cause, in concreto.
Donc, la phase préparatoire du procès pénal a connu des réformes s’agissant de sa durée tant dans le sens de son allongement (renvoi article n°1) que de son raccourcissement. En outre, l’article 6§1 de la Conv.EDH mais surtout la jurisprudence de la Cour ont pour objet d’encadrer le temps de la phase préparatoire et plus généralement, le temps du procès pénal dans son ensemble. Ainsi, la phase de jugement est, elle aussi, régie par des règles et pratiques ayant pour effet d’allonger (renvoi article n°3) ou de raccourcir sa durée (renvoi article n°4).
Juliette SUSSOT
[1] RASCHEL (E.), « Quelques remarques sur la prescription de l'action publique des infractions de presse », AJ Pénal, 24 nov. 2021, p. 513
[2] LARDET (F.), « Enquête préliminaire : une réforme peu adaptée aux investigations financières » AJ Pénal, 29 janv. 2022, p. 14
[3] DAOUD (E.), BOLO-JOLLY (J.) et al., « Loi pour la confiance dans l'institution judiciaire : dispositions relatives aux grands principes de procédure pénale », Dalloz actualité, 2 fév. 2022
[4] Tel est le cas lorsque l'enquête a donné lieu à une décision de classement sans suite puis a repris sur décision du procureur. La durée pendant laquelle l'enquête a été suspendue n’est pas prise en compte dans la computation des délais (art. 75-3 dern. al. C.proc.pén.).
[5] DAOUD (E.), BOLO-JOLLY (J.) et al., art. préc.
[6] CEDH, 24 oct. 1989, H. c. France, § 58
[7] Les conséquences pécuniaires et procédurales de l’allongement dommageable du temps de la procédure seront traitées dans l’article n°3
[8] CEDH, 26 janv. 1993, W… c/ Suisse, n°14379/88 : durée de 4 ans est raisonnable ; CEDH, 26 juin 1991, Letellier c/ France, n°12369/86 : durée de 2 ans et 7 mois est déraisonnable
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