I. Origine historique du principe
Sous l’ancien régime, la législation pénale laissait aux juges une grande latitude pour définir les comportements répréhensibles et fixer les peines applicables. Dès lors, plusieurs auteurs dénoncent l’arbitraire des sanctions pénales. Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748) et Beccaria dans Des délits et des peines (1765) appellent de leur vœux un meilleur encadrement de la répression par la loi.
C’est le sens de l’adage « Nullum crimen nulla poena sine lege » (pas de crime, pas de peine, sans loi) {1}.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 17 août 1789 consacre pour la première fois expressément le principe de légalité (articles 5 et 8). Aujourd’hui, la légalité constitue un principe essentiel de notre droit pénal, et est l’une des raisons d’être du principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère {2}.
II. Fondements textuels
La légalité criminelle est consacrée tant en droit international {3} qu’en droit européen et interne :
Art 7§1 de la CESDH {4} : « 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise »
Article 5 de la DDHC {5} : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. »
Article 8 de la DDHC : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
Article 111-3 du Code pénal : « Nul ne peut être puni pour un crime ou un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. »
III. Définitions
Le principe de légalité a deux acceptions :
La légalité formelle renvoie au fait que les infractions pénales doivent être définies par la loi au sens strict. Cela s’explique principalement par la légitimité de la loi, votée par les représentants élus du peuple {6}.
La légalité matérielle désigne le fait que les infractions pénales et les peines doivent être précisément et clairement définies. Ainsi, le citoyen doit savoir avant d’agir ce qui est autorisé ou interdit et ce qu’il encourt s’il enfreint la règle. En ce sens, la légalité matérielle est à la fois une garantie de la liberté individuelle et une matérialisation de la fonction dissuasive du droit pénal (pouvoir d'intimidation de la sanction). C’est en ce sens que l’on entend généralement le principe de légalité criminelle.
Autrement dit, la légalité formelle désigne la source textuelle (ce doit être une loi) alors que la légalité matérielle désigne le contenu du texte, sa qualité (il doit être clair et précis).
A. La légalité formelle (la loi doit être la source du droit pénal)
En écho aux articles 34 et 37 de la Constitution de la Vè République sur la répartition entre le domaine réglementaire et le domaine législatif, l’article 111-2 du Code pénal dispose que « la loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs. Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants ».
NB : Pour autant, il peut arriver que la loi fixe la définition générale de l’infraction, renvoyant au règlement pour les éléments techniques de la définition. Par exemple : Article 222-41 du Code pénal « Constituent des stupéfiants au sens des dispositions de la présente section les substances ou plantes classées comme stupéfiants en application de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique », article du Code de la santé publique qui renvoie lui-même à un arrêté du Ministre de la santé. |
Toutefois, le juge doit parfois interpréter la loi pénale pour pouvoir l’appliquer concrètement. Deux principes d’interprétation s’appliquent :
L’interprétation stricte
L’article 111-4 du Code pénal dispose que : « La loi pénale est d'interprétation stricte ». Aussi, il convient de ne pas adopter une interprétation extensive pour réprimer des faits non expressément prévus par la loi. Le raisonnement par analogie n’est donc pas applicable.
Par exemple, il a pu être considéré que l’enfant à naître ne pouvait pas être victime d’un homicide involontaire car l’enfant à naître n’est pas juridiquement « autrui » puisqu’il n’a pas la personnalité juridique s’il ne naît pas vivant et viable. (Assemblée plénière 29 juin 2001).
Autre exemple, dans un arrêt du 20 novembre 1901, la Cour d’appel de Poitiers, dans l’affaire de la séquestrée de Poitiers a considéré que le fait de priver une personne de soins et d’aliments n’était pas assimilable à l’infraction de coups et blessures..
De la même manière, avant 2016, le fait de diffuser une photo à caractère sexuel d’une personne ne constituait pas une infraction si la photo avait été réalisée avec son consentement. Aujourd’hui, le « revenge porn » est inscrit dans la loi {7}, et ces faits sont donc incriminés.
Également, on peut citer le suicide, dont la provocation n’était initialement pas réprimée par le Code pénal (en l’absence d’infraction principale punissable, il n’était pas possible de raisonner sur le fondement de la complicité par provocation). Aujourd’hui, le Code pénal réprime à titre autonome la provocation au suicide {8}.
L’interprétation extensive des lois favorables au mis en cause
Dans certains cas, la jurisprudence accepte de donner une interprétation large et extensive à des lois favorables au prévenu, notamment en interprétant des causes d’irresponsabilité pénale.
Par exemple, la jurisprudence a pu créer un nouveau fait justificatif permettant d’excuser un vol de document à l’employeur lorsqu’il est justifié par la stricte nécessité de la défense d’un salarié dans le cadre d’un litige prud'homal (Crim 11 mai 2004).
B. La légalité matérielle (la loi doit être suffisamment claire et précise)
La loi pénale doit être claire, précise, accessible (donc écrite et disponible) et prévisible. Lorsque la loi reste trop vague et que la définition d’une infraction manque de précision, la loi peut être censurée par le Conseil Constitutionnel. Cette exigence se rattache au principe plus général de sécurité juridique. Rappelons à cet égard que le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi est un objectif à valeur constitutionnelle {9}.
Par exemple dans une décision QPC du 16 décembre 2011 M. Claude N., le Conseil constitutionnel abroge la définition des crimes et délits incestueux car le texte ne précisait pas quels auteurs étaient concernés, le texte se contentant de mentionner les « membres de la famille ».
De la même manière, dans une QPC du 4 mai 2012 M. Gérard D., le Conseil constitutionnel censure la définition du harcèlement sexuel pour manque de précision dans la définition.
Adélie JEANSON-SOUCHON
{1} Ce focus peut être rapproché de celui sur « les principes de légalité et de nécessité en droit pénal », rédigé par Nathanaël LESDEL et publié dans la revue n°1. Il présente des considérations plus générales, et établit un corollaire avec le principe de nécessité du droit pénal. Le présent focus se veut plus concret, avec bon nombre d’exemples.
{2} Ce focus peut donc être rapproché de celui sur « les grands principes de l’application de la loi pénale dans le temps », rédigé par Gladys KONATÉ et publié dans la revue n°5, qui présente les dispositions techniques applicables aux principes de non-rétroactivité de la loi pénale, et d’application immédiate.
{3} DUDH de 1948 article 11§2 : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis. »
Art 15§1 PIDCP de 1966 : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
{4} Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales de 1950.
{5} Déclaration des Droits de l’Hommes et du Citoyen de 1789.
{6} Cette légalité formelle peut aussi être rapprochée du principe de séparation des pouvoirs. En effet, l’idée est que le juge ne puisse pas définir lui-même les comportements répréhensibles et les peines applicables pour éviter la concentration du pouvoir dans les mains d’un seul : le juge. matière pénale.
{7} Article 226-2-1 al 2 du Code pénal : « Est puni des mêmes peines le fait, en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1. ».
{8} Article 223-13 al 1 du Code pénal : « Le fait de provoquer au suicide d'autrui est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d'une tentative de suicide. ».
{9} Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes.
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