Le 1er septembre 2022, la Cour d’appel de Toulouse crée le pôle environnement et maltraitance animale. Celui-ci a pour objectif d’apporter une réponse judiciaire rapide aux infractions commises sur les animaux. Pour le Procureur Général près la Cour d’appel de Toulouse, à l’initiative de ce projet, « c’est un sujet de société sur lequel le ministère public doit agir avec fermeté. Le pôle va permettre de renforcer le suivi des procédures, d’intervenir plus vite et de prononcer des peines adaptées ». Les juridictions auront à leur disposition « des circuits courts et des procédures simplifiées pour les cas les moins graves » afin de sanctionner les abus. Et lorsque les faits le justifient, « il faut pouvoir confisquer l’animal », « frapper son propriétaire d’une interdiction de détention ». Alors l’animal et sa protection prennent une place de plus en plus prépondérante en droit pénal, une place qui apparaît renforcée.
Le droit de l’Union Européenne a eu une forte influence sur l’évolution de la vision française de la protection pénale de l’animal. Notamment, le 11 mars 2013, la Commission européenne interdit l’expérimentation animale dans l'UE pour les cosmétiques, déjà partiellement interdite depuis 2004. Selon le Parlement européen, 80% des pays dans le monde autorisent encore ces expérimentations. Alors, le 3 mai 2018, les députés européens votent en faveur d'une interdiction mondiale de l’expérimentation animale pour les cosmétiques d'ici 2023, appelant à une convention de l'Organisation des Nations unies. Également, afin de combattre le commerce illégal de chiens et de chats, le Parlement européen a réclamé, dans une résolution adoptée le 12 février 2020, la création d'un plan d'action européen. En avril 2021, une commission d'enquête a jugé inacceptable le non-respect des règles sur le bien-être des animaux pendant le transport et a appelé à des mesures concrètes pour y remédier. Quant à l'élevage en cage, il concerne chaque année plus de 370 millions d'animaux dans l'UE. En septembre 2018, 170 organisations non gouvernementales ont lancé une initiative citoyenne européenne baptisée End the Cage Age qui a recueilli 1,4 million de signatures. Le 30 juin 2021, la Commission européenne a annoncé sa volonté d'interdire l'élevage en cage d'ici 2027. Elle présentera une proposition législative en ce sens d'ici la fin 2023.
Alors, face à ces nombreuses évolutions européennes, la France va également renforcer son droit pénal par deux grandes lois récentes que sont la loi EGalim du 30 octobre 2018 et la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes . Cependant, celles-ci présentent toujours des exceptions à la protection de l’animal par le droit pénal.
Dès lors, dans quelle mesure le droit français a-t-il évolué, sous l’influence du droit européen, afin de permettre une meilleure protection de l’animal ?
Le Code pénal va renforcer son régime protecteur de l’animal grâce à de nouvelles lois (I), cependant elles n’ont pas permis un renforcement total de cette protection, ce régime demeurant lacunaire (II).
I) Un régime protecteur de l'animal au sein du Code pénal
A. Les premières avancées sur les abattoirs avec la loi de 2018
C’est en 2015 que le Code civil est modifié pour considérer que les animaux sont des êtres doués de sensibilité en son article 515-14. Ce changement de perception envers l’animal entraîne également une nouvelle vision pénale de celui-ci. D’une part, la loi sur l'agriculture et l'alimentation, ou "loi EGalim" qui est promulguée le 30 octobre 2018, instaure plusieurs mesures pour lutter contre la maltraitance animale, dont la mise en place de la vidéosurveillance dans les abattoirs. Cependant, celle-ci n’est qu’à « titre expérimental et sur la base du volontariat ». Les exploitants doivent également désigner un responsable de la protection animale dans chaque abattoir [1] pour s’assurer que les procédures relatives au bien-être des animaux sont correctement mises en œuvre. Ce salarié bénéficie de la protection du statut de lanceur d’alerte, défini dans la loi du 9 décembre 2016. La loi EGalim ainsi que la loi du 21 mars 2022 étendent également le délit de maltraitance animale aux abattoirs et au transport d'animaux vivants [2] et double les peines encourues, qui passent de six mois à un an d'emprisonnement, assorties d'une amende de 15 000 euros.
D’autre part, et dans le même sens, le décret du 5 février 2022 [3] interdit la mise à mort par broyage ou par gazage des poussins mâles. En France, 50 millions de poussins étaient éliminés chaque année juste après leur naissance avant l'entrée en vigueur de cette interdiction. Tous les couvoirs de poules ont jusqu'au 31 décembre 2022 pour s'équiper de machines permettant de détecter le sexe des poussins dans l'œuf, avant éclosion, grâce au financement de l'État. Une dérogation a toutefois été introduite pour les poules blanches qu'il est difficile de sexer.
Les animaux vont voir leur protection par le droit pénal renforcée dès 2018, mais c’est particulièrement grâce à la loi de 2021 que celle-ci va trouver sa place au sein du Code pénal.
B. Les grandes évolutions de la loi de 2021
La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes renforce cette lutte par la voie répressive. Elle crée de nouvelles infractions, particulièrement de nouveaux délits. Se distinguant ainsi des premières dispositions uniquement contraventionnelles du Code pénal.
Tout d’abord, l’article 521-1-1 a donc été introduit dans le Code pénal pour incriminer de manière autonome les atteintes sexuelles sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité. Il va les punir des mêmes peines que les actes de cruauté et les sévices graves, à savoir trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende. Ces peines sont portées à quatre ans d'emprisonnement et 60 000 € d'amende lorsque les faits sont commis en réunion, en présence d'un mineur ou par le propriétaire ou le gardien de l'animal.
Ensuite, l’article 521-1-3 a été ajouté pour punir d'un an d'emprisonnement et 15 000 € d'amende le fait de proposer ou de solliciter des actes constitutifs d'atteintes sexuelles sur un animal. Un acte dénommé par certain de prostitution animale.
Enfin, le nouvel article 521-1-2 du Code pénal est une source un peu complexe de nouvelles infractions destinées à enrichir le droit pénal spécial animalier. Il incrimine successivement le fait d'enregistrer sciemment des images relatives à la commission d'actes de cruauté, de sévices graves ou d'atteintes sexuelles ; le fait d'enregistrer sciemment des images relatives à la commission de mauvais traitement et le fait de diffuser sur internet l'enregistrement de telles images.
Le droit pénal spécial animalier s'efforce donc de lutter contre la maltraitance par des peines de plus en plus nombreuses et de plus en plus sévères qui exposent presque systématiquement à l'emprisonnement. Il est donc particulièrement remarquable que la loi du 30 novembre 2021 ait inscrit le stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale sur la liste des stages ne pouvant excéder un mois. En vertu de l'article 131-5-1 du Code pénal, la juridiction peut décider que le condamné passible d'une peine d'emprisonnement devra accomplir à la place ou en même temps que l'emprisonnement.
Au-delà de ces infractions spécifiques, la loi prévoit des grandes dispositions qui visent à s’appliquer de manière progressive. Le législateur a prévu un calendrier d’application des dispositions visant à lutter contre la maltraitance. A compter de 2023, les collectivités territoriales ne pourront plus accueillir de cirques avec des représentations d’animaux sauvages, la nature de ces derniers étant considérée comme incompatible avec toute détention en itinérance. La vente de chiens et chats en animalerie sera interdite dès 2024, et l’exposition en vitrine des animaux sera réprimée. Les spectacles de dauphins ou d'orques seront interdits à partir de 2026 ainsi que leurs détention et reproduction en captivité, sauf dans le cadre de programmes de recherches scientifiques ou dans des "refuges ou sanctuaires pour animaux sauvages captifs ». Enfin, d'ici à 2028, la détention et le spectacle d'animaux sauvages dans les cirques itinérants est interdite mais aussi, dès 2023, l'acquisition et la reproduction de ces animaux.
Par cette application échelonnée, la loi cherche à renforcer son action tout en laissant aux professionnels le temps de s’adapter. Néanmoins, la longueur de la mise en place de ces sanctions contrevient à l’esprit de la loi. Cela donne une image fragile, renforcée par la multiplication des exceptions à la loi.
II) Un régime protecteur de l’animal demeurant lacunaire
A. Une multiplication des exceptions légales atteignant l’esprit du texte
Le législateur multiplie les domaines d’exclusion d’application de la loi, fragilisant sa réelle efficacité et valeur juridique. Premièrement, le texte regorge d’exceptions sur les animaux protégés. La contradiction majeure, et la plus contestée, est l’exclusion de la corrida et combats de coqs de la loi par un alinéa spécifique au sein de l’article 522-1 du Code pénal. Ces pratiques sont pourtant des actes de maltraitances. Notamment, les combats de chiens sont réprimés comme des actes de maltraitance, mais pas les combats de coqs. Aussi, la simple définition de la corrida, proposée ici par le CNRTL [4], sous-tend la notion de maltraitance. La corrida est considérée comme un « jeu, originaire d'Espagne, se déroulant dans des arènes et opposant, successivement, plusieurs taureaux à un matador qui doit, grâce à un travail de cape, de piques et de banderilles, amener le taureau dans les conditions permettant sa mise à mort (par l'épée), terme attendu du combat. ». La notion de tradition continue permettant le maintien de ces pratiques se heurte à l’esprit du texte et reste un sujet de débat dans la société française.
Deuxièmement, la loi vise principalement les animaux domestiques. L’exclusion des animaux sauvages, res nullius, permet des actes de maltraitance sur ces derniers. En effet, les pratiques de chasse, bien que réglementées dans le Code de la chasse et de la pêche, demeurent dans certains cas de la maltraitance (comme la chasse à courre, un mode de chasse qui consiste à poursuivre un animal sauvage avec une meute de chiens, jusqu'à le perdre ou le prendre). Enfin, l’exclusion de certaines pratiques, comme les tests sur les animaux de laboratoire, peut interroger, les règlements n’assurant pas des qualités de vie propices aux animaux.
Finalement, dès lors que la maltraitance animale est objet de santé, ou majoritairement de distraction aux êtres humains, alors la pratique est maintenue. C’est une question qui paraît donc éminemment politique.
B. Une réponse pénale déficiente atteignant l’effectivité du texte
La loi écarte aussi certains comportements qu’elle refuse d’ériger en infractions. C’est notamment le cas de la zoophilie. Celle-ci est sanctionnée en tant que sévices sexuels, l’infraction autonome n’ayant pas été reconnue. Ce refus est fondé sur le défaut de démonstration d’un préjudice, physique ou moral, de l’animal. Aucune étude n’a cherché à établir un tel fait. Il n’est donc pas possible de créer cette infraction. Aussi, les maltraitances nécessaires sont exclues.
Enfin, un défaut de sanction peut être constaté au sein de la loi. Elle prévoit un certificat d'engagement et de connaissance des besoins spécifiques de l'espèce à laquelle appartient l'animal adopté, mais pas de sanction pénale en cas de non-respect. L’article 522-1 Code pénal prévoit que le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité constitue un délit susceptible de 6 mois d’emprisonnement, c'est à dire la même peine que la filouterie. Le degré de gravité est considéré comme bas malgré la correctionnalisation puisqu’il y a eu des débats sur l’interdiction de la garde à vue pour les infractions faisant encourir moins d’un an d’emprisonnement. Cela traduit une valeur sociale peu défendue. Laissant en suspens la question de la contraventionnalisation trop importante de ces infractions.
En définitive, le Code pénal a renforcé au cours de ces dernières années sa protection de l’animal en tant qu’être doué de sensibilité. Il est possible de se demander si la loi ne devrait aller encore plus loin, et notamment considérer la possibilité de reconnaître le statut de personne juridique à l’animal. En France, certains universitaires ont fait un pas dans ce sens. Notamment, le 29 mars 2019, des juristes et universitaires proclament la Déclaration sur la personnalité juridique de l'animal, dite « Déclaration de Toulon » qui affirme que « les animaux doivent être considérés de manière universelle comme des personnes et non des choses », plus précisément comme « des personnes physiques non humaines ».
Cette considération de l’animal non plus chose mais personne pose la question d’une reconnaissance d’une personnalité juridique, permettant l'existence du préjudice ainsi que sa réparation à l’encontre de l’animal lui-même, et non plus seulement de son propriétaire. Cette position a déjà été adoptée pour des fleuves ou des forêts, mais aussi envers des animaux, notamment un orang-outan en Argentine. Ces questions en suspens répondent à une évolution sociétale et pourront potentiellement être au cœur des débats futurs sur la place de l’animal.
Marie POUPIOT
[1] article 70 de la loi EGalim
[2] article 67 de la loi EGalim
[3] Décret n° 2022-137 du 5 février 2022 relatif à l'interdiction de mise à mort des poussins des lignées de l'espèce Gallus gallus destinées à la production d'œufs de consommation et à la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort en dehors des établissements d'abattage.
[4] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
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