Cet éclairage a été publié pour la première fois par Mathilde AMBROSI, en juin 2020, dans La Revue n°7.
Le revengeporn, traduit "pornodivulgation" en français, est défini par la Commission d’enrichissement de la langue française comme l’"action de divulguer, afin de nuire à un tiers et sans son consentement, un enregistrement ou tout autre document à caractère sexuel le concernant, que celui-ci ait été ou non réalisé avec son accord."[1]. L’objectif, le plus souvent, est la vengeance.
Le revengeporn est un délit, qui entre dans la catégorie des infractions d’atteintes à l’intimité de la vie privée. On peut préciser que le droit au respect de la vie privée et familiale est notamment protégé par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme[2], et qu’en droit français, l’article 9 du Code civil dispose en son alinéa premier "Chacun a droit au respect de sa vie privée."[3]
De plus, les articles 226-1 et suivants du Code pénal incriminent les infractions qui relèvent des atteintes à l’intimité de la vie privée, c'est-à-dire l’atteinte à la vie privée en tant que telle et les infractions dites périphériques, comme l’utilisation du produit de l’atteinte à l’intimité de la vie privée par exemple.
L’article 226-1 du Code pénal[4] incrimine le fait, peu importe le procédé, de "volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé." L’alinéa premier de l’article 226-2 du même Code[5] incrimine le fait de "conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226- 1." Dans ces articles, qui concernent bien l’atteinte à l’intimité de la vie privée, on ne trouve pas de précisions en ce qui concerne le contenu à caractère sexuel diffusé sans le consentement de l’intéressé. En effet, le revenge porn en tant que tel a été tardivement incriminé en droit français.
L’épineuse question du consentement
Avant que le revenge porn ne soit véritablement incriminé en droit positif français, les victimes tentaient de se prévaloir des articles précités, mais en pure perte, et pour cause. À la lecture de la dernière phrase de l’article 226-1 du Code pénal, on constate que "Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé." La présomption de consentement posée par cet article a été restrictivement interprétée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 16 mars 2016 (n°15-82.676)[6]. Dans cet arrêt, la Cour a estimé au visa des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal, et en rappelant que la loi pénale est d’interprétation stricte, que la loi ne réprime pas le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement.
Or, cette situation correspond à de nombreux cas de figure qui relèvent du revengeporn : il s’agit souvent de contenu transmis par une personne à une autre personne avec laquelle elle entretient une relation intime. Il arrive régulièrement que la diffusion dudit contenu n’intervienne qu’à l’issue de la relation.
Aussi, et dans ce cadre, l’incrimination du revenge porn en tant que tel est devenue nécessaire. Même si ce terme n’a pas été légalement consacré, la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 a crée l’article 226-2-1 du Code pénal, qui incrimine "en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même"[7]. Il semble donc que le législateur a opéré une distinction, dans la question de l’absence de consentement, entre la captation des images et leur diffusion. Un individu peut en effet consentir à la captation, mais pas à la diffusion publique d’un tel contenu.
Les éléments constitutifs
Les éléments matériels constitutifs du revenge porn sont :
Un contenu obtenu avec le consentement exprès ou présumé de la personne, ou par elle-même.
Un contenu obtenu par l’un des acte prévus à l’article 226-1 du Code pénal, le lieu étant indifférent.
Le caractère sexuel des paroles ou des images. Cet élément constitutif a soulevé des interrogations en doctrine, sur ce qui constitue un caractère sexuel, cette notion pouvant apparaître comme peu précise : toute représentation anatomique est-elle à caractère sexuel ? À cet égard, Maurane Sigot, analyse que "Le sexe n'étant pas nécessairement exposé sur une photographie de nu, il peut être jugé discutable de considérer que la nudité suffit à lui donner son caractère sexuel."[8]
Le fait de diffuser publiquement ou à un tiers le contenu sans l’accord de la personne intéressée, étant précisé que le consentement de ladite personne s’apprécie au jour de la commission de l’infraction.
L’élément moral constitutif du revenge porn ne réside pas exclusivement dans la vengeance recherchée par l’auteur de cette infraction. On n’exige pas pour que cette dernière soit constituée la preuve d’un dol spécial caractérisé par cette volonté de se venger : il suffit que la personne ait eu conscience de la nature sexuelle du contenu capté et publiquement diffusé pour que l’infraction soit consommée.
Les sanctions
Le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée, incriminé par l’article 226-1 du Code pénal, est sanctionné d’un an d’emprisonnement et 45.000 € d’amende. Cette peine est toutefois portée à 2 ans d’emprisonnement et 60.000 € d’amende si le délit porte sur des paroles ou images à caractère sexuel, conformément à l’article 226-2-1 du même Code.
Des peines complémentaires peuvent également être prononcées, en vertu de l’article 226-31 du Code pénal[9].
Par ailleurs, on notera qu’en matière de poursuites, cette infraction a une particularité : de déclenchement de l’action publique ne peut se faire qu’à la suite d’une plainte de la victime. Selon l’article 226-6 du Code pénal[10], cela a pour conséquence le fait qu’un retrait de plainte entraîne automatiquement une extinction de l’action publique.
Mathilde AMBROSI
[2] Alinéa premier de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme : "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance."
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006419288&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=19940730
[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=1387EE2F78DF7882459FF2FDAE80F204.tplgfr23s_3?idArticle=LEGIARTI000006417929&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20020101&categorieLien=id&oldAction=
[5] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=1387EE2F78DF7882459FF2FDAE80F204.tplgfr23s_3? idArticle=LEGIARTI000006417930&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20020101 &categorie Lien=id&oldAction=&nbResultRech=
[6] https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/780_16_33845.html
[7] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do? idArticle=LEGIARTI000033207318&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20161009
[8] https://www-dalloz-fr.docelec.u-bordeaux.fr/documentation/Document?ctxt=0_YSR0MD0icmV2ZW5nZSBwb3JuIiDCp3gkc2Y9c2ltcGxlLXNlYXJjaA%3D%3D&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PSNkZWZhdWx0X0Rlc2PCp3Mkc2xOYlBhZz0yMMKncyRpc2Fibz1UcnVlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD3Cp3MkZnJlZXNjb3BlPUZhbHNlwqdzJHdvSVM9RmFsc2XCp3Mkd29TUENIPUZhbHNlwqdzJGZsb3dNb2RlPUZhbHNlwqdzJGJxPcKncyRzZWFyY2hMYWJlbD3Cp3Mkc2VhcmNoQ2xhc3M9&id=DIPIT%2FCHRON%2F2018%2F033
[9] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do? idArticle=LEGIARTI000006418012&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=19940730
[10] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=EC6F10B39013CE8279D11893287FF648.tplgfr38s_1?idArticle=LEGIARTI000006417935&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20020101&categorie Lien=id&oldAction=
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