Une nouvelle pratique sexuelle défraie la chronique, depuis qu’elle a été mise sur le devant de la scène aux États-Unis par la juriste américaine Alexandra Brodsky en avril 2017. Cette pratique est nommée le « stealthing ».
Définition – Le terme « stealthing » est issu de la langue anglaise et repose sur deux termes :
Stealth : adjectif se traduisant par « furtif », « rapidité », « discrétion » ;
Thing : nom commun se traduisant par « chose ». Il s’agit donc littéralement d’une action discrètement réalisée. Cette action peut être définie en termes d’acte comme le fait pour un homme d’enlever son préservatif pendant l’acte sexuel sans l’accord de son ou sa partenaire, cette dernière s’exposant alors à une grossesse non-désirée, voire une infection sexuellement transmissible. Attention, cette pratique ne doit pas être confondue avec le « bareback » qui est une pratique consistant à avoir des relations sexuelles volontairement sans préservatif.
Ce phénomène, qui prend une ampleur considérable aux Etats-Unis, n’a probablement pas vocation à demeurer sur ce territoire et il est regrettablement permis de penser qu’à terme, il risque de se propager largement en dehors de cet espace, notamment en France. Dès lors, il convient de s’interroger sur la possible prise en compte par le droit pénal français d’une telle pratique sexuelle. L'incrimination spécifique pour la pratique du « stealthing » n'existe pas dans notre droit pénal, du moins pas pour l'instant. En conséquent, il semble opportun de regarder si une incrimination pénale déjà existante ne permet pas de sanctionner un tel phénomène.
Une pratique à la frontière du viol – Une telle pratique pourrait être envisagée sous la qualification de viol. Pour rappel, l’article 222-23 du Code pénal définit comme viol « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Il s’agirait dès lors d’une pénétration sexuelle effectuée par surprise. En effet, il ne serait pas question d’un accident durant l’acte, mais bel et bien d’un stratagème réfléchi et mis à exécution par l’auteur. A titre d’illustration, il semblerait qu’un préservatif qui se rompt durant l’acte n’entrerait pas dans la qualification pénale de viol par surprise, dans la mesure où il s’agit d’un accident. A l’inverse, un homme retirant volontairement son préservatif durant l’acte sans en avertir son partenaire, pourrait entrer dans la qualification pénale de viol. C’est du moins ce qu’a considéré le tribunal correctionnel de Lausanne (Suisse) le 10 janvier 2017. Il a en effet condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis l’auteur d’un rapport sexuel consenti sous la stricte condition d'une protection par port de préservatif, qu’il a ôté durant la relation intime, et ceci à l'insu de sa partenaire.
"Cela reviendrait à dire qu’à partir du moment où l’acte sexuel a été consenti sous la stricte condition du port d’un préservatif, le fait de l’enlever sans le consentement du partenaire reviendrait à remettre en cause le consentement antérieur"
L’obstacle lié au consentement – Une telle décision peut s’entendre dans l’hypothèse où le consentement à l’acte sexuel était conditionné à l’utilisation de protection, son retrait volontaire constituant donc un véritable abus qu’il conviendrait de sanctionner. Toutefois, il semble qu’une telle qualification en droit pénal français serait rejetée au regard du principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Dans la mesure où le viol consiste à pénétrer sexuellement autrui par violence, menace, contrainte ou surprise, cela implique nécessairement une absence de consentement à l’acte sexuel lui-même. Cela n’est pas le cas ici, puisque l’acte sexuel en lui-même a été consenti, certes sous la stricte condition du port d’un préservatif, mais la relation sexuelle a été consentie. Toutefois, un tel propos est à relativiser dans la mesure ou certains auteurs soutiennent la position selon laquelle le consentement n’est pas le choix d’un moment (l’acceptation de l’acte sexuel en lui-même), il doit s’étendre sur toute la durée d’un rapport sexuel. En l’occurrence, cela reviendrait à dire qu’à partir du moment où l’acte sexuel a été consenti sous la stricte condition du port d’un préservatif, le fait de l’enlever sans le consentement du partenaire reviendrait à remettre en cause le consentement antérieur.
L’obstacle de la double preuve - D’autre part, il apparaît assez difficile pour la plaignante de prouver en justice qu’elle avait consenti d’une part à l’acte sexuel sous la stricte condition qu’il soit protégé et d’autre part que son partenaire a retiré ladite protection à son insu. Si l’on envisage cette hypothèse de manière caricaturale, cela conduirait à terme à la nécessité d’enregistrer les consentements avant l’acte.
Le terrain des violences volontaires – Une autre qualification envisageable est celle des violences volontaires régies par les articles 222-13 et suivants du Code pénal. En effet, les juges pourraient envisager le "stealthing" comme un « acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique »[1]. Cela paraît être une qualification plus envisageable que le viol, notamment lorsque l’on sait que la majorité des plaintes pour viols termine correctionnalisée en violences volontaires ou agression sexuelle.
"Les juges vont-ils considérer que le choc résulte du retrait non consenti du préservatif lors d’une relation de confiance ou bien de la peur inhérente aux risques encourus lors d’une relation sexuelle non protégée, tels qu’une grossesse non désirée ou la transmission d’infections sexuellement transmissibles ?"
La caractérisation ambivalente de la cause du choc émotionnel - Si cette qualification paraît viable, un nouveau problème se pose concernant la caractérisation de la cause du choc émotionnel. En effet, les juges vont-ils considérer que le choc résulte du retrait non consenti du préservatif lors d’une relation de confiance ou bien de la peur inhérente aux risques encourus lors d’une relation sexuelle non protégée, tels qu’une grossesse non désirée ou la transmission d’infections sexuellement transmissibles ? Ce sera aux juges de trancher cette question en vertu de leur pouvoir souverain d’appréciation. On risque alors de voir apparaître une jurisprudence instable, ce qui est évidemment peu souhaitable. Par ailleurs, tout comme pour l’infraction de viol, le problème de la double preuve vient ici aussi poser problème.
Les dangers d’une nouvelle intervention législative – En définitive, la meilleure solution sur un volet pénal semble être une nouvelle intervention législative afin de créer une infraction spécifique prévoyant une définition juridique extrêmement précise de ce comportement. Néanmoins, cela reviendrait une fois de plus à édicter une norme qui ne s’appliquerait qu’à un fait de société donné, dans un cadre donné. Or, on sait déjà que l’éternelle boulimie législative en droit français n’est pas des plus efficaces et n’est donc plus souhaitable. C’est notamment ce qu’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme qui reconnaît « l'impossibilité d'arriver à une exactitude absolue dans la rédaction des lois » et rappelle qu'une telle précision ne serait pas nécessairement souhaitable[2]. Trois siècles plus tôt, c’est Francis BACON qui nous mettait en garde contre l’illusion de certitude que confère l’excès de précision : « en prenant peine à spécifier et à exprimer chaque cas particulier en termes propres et convenables, (...) on ne fait au contraire par cela même qu'enfanter une infinité de disputes de mots ; et, grâce à ce fracas de mots, une interprétation conforme à l'esprit de la loi, le meilleur et le plus sain de tous les guides, n'en marche que plus difficilement ».
"Il semble malheureusement qu’aucune réponse pénale ne puisse arriver à cet équilibre parfait et que seule la sensibilisation et la prévention puissent arriver à éradiquer de tels comportements nocifs pour la société."
Un fait de société mettant en lumière la limite du droit pénal – La notion de consentement en droit pénal, qui ne bénéficie pas d’une définition précise donnée par le Code pénal, démontre en conséquence une nouvelle fois ses limites. En effet, comment réellement prouver une absence ou un dépassement du consentement lors de relations charnelles ? De plus, comment arriver, pour le législateur, à un juste équilibre entre protection des libertés individuelles et opportunité de réprimer certains comportements répréhensibles ? Comment protéger au mieux la victime afin que celle-ci ne soit pas déconsidérée dans sa qualité de victime pour sa naïveté, et dans un même temps, ne pas poser de présomption de culpabilité à l’encontre du défendeur ? En France, aucun procès n’a encore eu lieu concernant cette pratique effrayante, la raison étant très certainement l’absence de plaintes, les victimes ressentant généralement de la honte, cette agression ayant été subie lors d’un rapport sexuel consenti. Il semble malheureusement qu’aucune réponse pénale ne puisse arriver à cet équilibre parfait et que seule la sensibilisation et la prévention puissent arriver à éradiquer de tels comportements nocifs pour la société.
Marie BORGNA
[1] Décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 2 septembre 2005
[2] Décision rendue par la Cour européenne des droits de l'homme le 25 mars 1985, Barthold c/ Allemagne
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