Suite aux résultats d’admissibilité du CRFPA 2019, j’ai entamé, pour le compte de Sup Barreau, une tournée de France au cours de laquelle je suis allé à la rencontre d’étudiants pour échanger avec eux sur le métier d’avocat, le CRFPA, les taux de réussite des IEJ, la réforme de l’examen… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont que peu d’informations par les Universités. Mais au-delà de leurs interrogations, j’ai pu constater que certains clichés concernant l’avocat pénaliste étaient vivaces.
Cliché 1 : l’avocat pénaliste est un homme
Ce cliché est particulièrement fréquent. L’avocat pénaliste est éloquent parce qu’il parle haut et fort. Les médias véhiculent ce cliché en ne montrant, quand il s’agit d’évoquer les ténors du barreau, que les mêmes avocats.
Pourtant, il existe de nombreuses avocates pénalistes talentueuses. Ainsi, le classement annuel GQ des avocats les plus puissants de France[1], même s’il comporte une part manifeste d’arbitraire mentionne régulièrement Corinne Dreyfus-Schmidt, Jacqueline Laffont, Clarisse Serre ou Delphine Boesel.
Ce point est particulièrement délicat à aborder avec les étudiants. Ainsi, dans mes différentes promotions, la proportion d’étudiantes est souvent plus élevée voire bien plus élevé que celle d’étudiants. Ce cliché contribue à les orienter vers d’autres spécialités…
Cliché 2 : l’avocat pénaliste est pauvre
L’avocat pénaliste serait pauvre parce que sa clientèle, délinquante par essence, n’aurait pas les moyens de le payer. Plus encore, le rôle essentiel de l’avocat étant de défendre, pro bono[2] bien évidement, ses clients devant les cours d’assises, il ne gagnerait rien sur ses dossiers.
Il est certain que si un avocat ne prend que des dossiers pro bono ou à l’aide juridictionnelle, il sera délicat de bien gagner sa vie. Mais l’avocat pénaliste n’intervient pas qu’aux assises : il est aussi présent dans d’autres branches techniques du droit pénal, dans lesquelles la clientèle est plus aisée : droit pénal des affaires ou droit pénal fiscal par exemple. De plus, si l’avocat s’oriente vers une activité de conseil voire de coaching ou de formation il est susceptible d’avoir une clientèle plus lucrative…
Cliché 3 : l’avocat pénaliste est un délinquant
Nietzsche le résume parfaitement « si tu regardes longuement l’abîme, l’abîme te regarde aussi ». La relation au crime serait contagieuse. A force de fréquenter trop de délinquants, de criminels, l’avocat serait progressivement rongé par le mal et il plongerait dedans, basculant du côté obscur du droit.
Il convient de fortement nuancer le propos. Comme les criminologues l’indiquent, la relation au crime n’est contagieuse que pour les esprits faibles et malades. Les avocats ne sont pas une catégorie sociale à part. Il y a parmi eux des délinquants, des criminels, mais ils ne le sont pas tous…heureusement.
Certes, les médias pointent fréquemment les mésaventures d’untel ou d’untel qui a aidé à s’évader ses clients ou encore qui régulièrement se fournit en drogue auprès de ses propres clients, mais il ne s’agit que de cas isolés…
Cliché 4 : l’avocat pénaliste a une vie sentimentale dissolue
L’avocat pénaliste, ce héros des temps modernes a un succès fou auprès de la gent féminine ou masculine, ou les deux à la fois. Avocat particulièrement exposé, il manie avec excellence la langue de Molière et l’art oratoire. Son charisme lui permet de séduire…
Il est vrai qu’une des règles de la prise de parole en public est de combiner deux qualités : la séduction et la conviction. Alors certes, il s’agit de séduire par les mots, mais pour autant, s’agit-il véritablement d’une séduction sentimentale ?
Je côtoie de nombreux pénalistes et leurs vies sentimentales sont tout aussi dissolues que dans les autres corps de métiers et notamment de certains universitaires, mais je préfère ne pas m’aventurer sur ce terrain marécageux…
Cliché 5 : l’avocat pénaliste fait acquitter des pédophiles terroristes
Voici le cliché social par excellence. Il n’est pas un dîner, une prise de parole où une personne ne vous interroge pas sur ce point.
Alors non, le rôle de l’avocat n’est pas nécessairement de faire acquitter ses clients dangereux. Son rôle est de défendre.
Certes, il a été question de réduire les droits de la défense des terroristes[3] ce qui contribuerait à affaisser l’Etat de droit. Pour autant, le code de procédure pénale prévoit la possibilité pour tous d’être défendus : c’est l’honneur du droit que de permettre à tous d’être défendus.
Défendre, c’est aider à comprendre et le cas échéant, à trouver la peine la plus adaptée ainsi qu'à préparer, dès l’audience, la sortie par un suivi psychologique à la sortie de prison pour éviter les sorties sèches dont le caractère criminogène est avéré.
Cliché 6 : l’avocat pénaliste a toujours une liasse de billets dans la poche
Ce cliché confirme le cliché 3 et complète le cliché 2. Comme l’avocat défend des délinquants donc notamment des trafiquants de drogue, ceux-ci vont le payer avec de l’argent liquide. En effet, il serait peu judicieux pour un dealer de déposer ses recettes à la banque.
L’avocat, peu scrupuleux, met alors l’argent dans sa poche et l’utilise pour mener sa vie de délinquant qui fraude l’URSSAF en ne déclarant pas cette somme[4] et blanchit l’argent[5]. C’est donc un délinquant et s’il est pauvre officiellement, en pratique, il gagne très bien sa vie.
Ce cliché est également très discutable et dépend à la fois de la moralité et de l’intelligence de l’avocat. En agissant de la sorte, l’avocat enfreint la loi, ses règles déontologiques, mais il est également à la merci de son client…
Cliché 7 : l’avocat pénaliste est alcoolique et drogué
Le pénaliste passe pour être un bon vivant, voire même au-delà. S’il est possible d’avoir une constante, il est vrai que le pénaliste, par sa profession et sa clientèle, est souvent au fait des ravages de la consommation excessive d’alcool et de stupéfiants. Il a donc une consommation à la fois raisonnable de ces produits, mais ne se cache pas…
La légende veut que tous les avocats sont touchés en raison de leur rythme de vie par les ravages liés à diverses addictions.
Cliché 8 : l’avocat pénaliste est parisien
Ce cliché est la résultante d’un autre concernant les études de droit. Il y aurait Paris et la Province et surtout Paris II Assas et les autres Universités.
J’ai fait mes études à Paris II[6] et il est vrai que certains enseignants eux-mêmes véhiculent ce cliché. S'il est vrai que l’agrégation contribue à ce phénomène et valorise davantage les enseignants-chercheurs parisiens que ceux de Province, il n’en demeure pas moins que tout va dépendre du diplôme concerné et de la discipline.
N’a-t-on pas vu un Professeur de Poitiers résister toute sa carrière aux sirènes de Paris ? Les étudiants de Jean Pradel ne peuvent que s’en féliciter…
Quant aux avocats, il convient de rappeler que François Saint-Pierre a son cabinet principal à Lyon et qu’Eric Dupont-Moretti ainsi que Franck Berton sont lillois.
Cliché 9 : l’avocat pénaliste est mauvais juriste
Effectivement, car le droit pénal est facile, tout le monde y arrive très facilement…
Encore une fois un cliché importé de l’Université. Sous prétexte que le droit pénal a un ancrage dans la vie quotidienne, la matière ne serait pas technique. Il est vrai que certaines de décisions de cours d’assises contribuent à considérer que la matière est peu technique puisque tout le monde et finalement n’importe qui ne peut la juger.
C’est particulièrement mal connaître la procédure pénale qui regorge de règles techniques, spécifiques et délicates à manier qu’il s’agisse des nullités[7] du « sas »[8] ou encore des règles relatives à la détention provisoire[9].
Cliché 10 : l’avocat pénaliste est de gauche
Absolument puisque l’avocat pénaliste défend, qui plus est souvent des pauvres, il a une appétence particulière pour le procès équitable et de façon générale pour les droits de l’homme, donc il est de gauche.
S’il existe des avocats de gauche, parmi lesquels il est possible de citer Badinter ou encore Hervé Temime[10], il y en a aussi de droite. Aujourd’hui, nul ne peut douter du positionnement politique de Gilbert Collard.
Les engagements politiques sont variables et même si cela peut choquer certains, les droits de l’homme ne sont pas uniquement une valeur de gauche…
La profession change et se féminise. Désormais, les avocats sont connectés, ils ont un site, un blog et un vlog. Ils interviennent sur les plateaux télévisés et font du coaching pour leurs clients… Toutefois, je garde en souvenir ce moment si particulier ou, jeune avocat que j’étais, un de mes maîtres arborant fièrement ses décorations avant usé de cette défense délicieusement surannée sentant déjà un peu la naphtaline, en exhibant à la face du public une enveloppe indiquant qu’il détenait la preuve de l’innocence. La légende veut qu’il continue de plaider de la sorte…
Il se reconnaîtra, je lui dédie ce billet !
Mikaël Benillouche
Maître de conférences HDR des Universités
Directeur des Etudes de Sup Barreau
[2] Pro bono ="pour le bien public" : consiste à traiter à titre volontaire et gratuit le dossier de personnes défavorisées qui n'ont pas la possibilité d'avoir recours à l'aide juridictionnelle, et de fournir du conseil juridique à des associations, des ONG et des initiatives à but social
[3] Voir la proposition de loi n° 423 visant à supprimer l’aide juridictionnelle aux auteurs d’actes de terrorisme enregistrée à la présidence du Sénat du 12 avril 2018 https://www.senat.fr/leg/ppl17-423.html
[4] La fraude fiscale n’est alors pas loin (article 1741 CGI).
[5] Articles 324-1 et s. CP.
[6] Rassurez-vous j’enseigne en Province.
[7] Articles 171 et suivants CPP.
[8] Article 80-5 CPP.
[9] Articles 137-1 et s. CPP avec notamment en « guest stars » les référés libertés et le référé détention…
[10] Selon des propos prêtés par QG, il aurait dit : "Je suis de gauche et je gagne de l’argent. C’est permis ?" https://www.gqmagazine.fr/pop-culture/gq-enquete/articles/les-30-avocats-les-plus-puissants-de-france/60739
Yorumlar