Le procès pénal est régi par un principe d’envergure, celui de la présomption d’innocence. En effet, le droit pénal réprime les auteurs d’infractions afin de protéger l’ordre public. Pour assurer cet objectif, il est nécessaire d'établir la culpabilité d'une personne pour une infraction donnée. Cependant, cette preuve ne saurait être apportée sans limite, sans garde-fou : la présomption d’innocence est l’une de ces garanties.
Si le principe de la présomption d’innocence conduit à ce que la charge de la preuve pèse en principe sur le ministère public (I), cette affirmation doit être tempérée par l’existence de présomption de culpabilité (II). Toutefois, le principe demeure et a des conséquences, notamment sur le plan sur le droit au silence et le droit de ne pas s’auto-incriminer (III).
I) Le principe de présomption d’innocence
La présomption d’innocence. La présomption d’innocence est un principe essentiel de notre procédure pénale. Pourtant, jusqu’à la loi du 15 juin 2000, elle n’était pas consacrée en tant que telle dans le Code pénal et le Code de procédure pénale, même si elle était, de fait, de mise et pouvait être déduite d’autres articles du Code de procédure pénale. On la trouvait aussi dans des textes internationaux (article 11 de la DUDH[1], article 6 de la Conv.EDH[2], article 14 du PIDCP[3], article 48 de la CDFUE[4]), et surtout à l’article 9 de la DDHC. C’est un principe constitutionnel depuis une décision du 19 et 20 janvier 1981[5]. Désormais, le principe est inscrit en tant que tel dans le Code de procédure pénale et plus précisément dans son article préliminaire qui dispose dans la première phrase de son III que « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie »[6].
Une règle de fond et de procédure. La présomption d’innocence présente un double aspect : elle peut tout d’abord constituer une règle de fond, un droit subjectif, qu’il faut faire respecter et dont il faut prévenir et sanctionner les atteintes (notamment sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil[7]). Elle peut ensuite, et c’est ce qui nous intéresse dans le cadre de la présente revue, constituer une règle de preuve : elle détermine en effet la charge de la preuve.
La charge de la preuve – « actori incubit probatio ». La charge de la preuve désigne de manière générale, qui doit prouver pour que le procès aboutisse. Même s’il existe des exceptions, le droit est régi par un principe général selon lequel la charge pèse sur le demandeur. C’est la règle énoncée par l’adage « actori incubit probatio ». Autrement dit, celui qui prend l'initiative du procès doit prouver les faits qu'il allègue pour obtenir le résultat souhaité. Si celui sur qui pèse la charge de la preuve ne parvient pas à faire la démonstration nécessaire et à prouver, alors, il succombera (c’est-à-dire qu’il perdra son procès).
Application de la règle « actori incubit probatio ». Ainsi par exemple, si en droit civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation ne parvient pas à prouver l’existence de cette obligation, alors, il n’obtiendra rien. En droit pénal, c’est aussi le demandeur qui doit prouver : le ministère public, partie poursuivante, qui requiert l’application de la loi, supporte la charge de la preuve. Autrement dit, ce n’est pas à la personne poursuivie d’établir son innocence, mais au ministère public (au procureur de la République donc) d’établir la culpabilité de la personne poursuivie. En cela, le parquet doit apporter la preuve que l’auteur ou le complice d’une infraction réunit en sa personne les éléments constitutifs de l’infraction.
Conséquence de la charge de la preuve : in dubio pro reo. La présomption d’innocence révèle toute sa portée dans une situation particulière : celle où un doute demeure sur la culpabilité ou l’innocence d’un accusé (devant la cour d’assises ou la cour criminelle) ou d’un prévenu (devant le tribunal correctionnel). Dans ce cas, l’accusé devra être acquitté ou le prévenu relaxé (c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de condamnation). C’est le principe « in dubio pro reo », ou « le doute profite à l’accusé ».
L’idée est que la condamnation ne peut, en droit, être prononcée qu’en présence d’une certitude, et qu’une culpabilité hypothétique ou possible ne suffit pas.
Une personne soupçonnée d’avoir commis des faits infractionnels est donc considérée comme innocente tant que les preuves n’ont pas levé tout doute sur sa culpabilité. Cette nécessité se comprend en ce que « dans le doute on doit incliner à son absolution plutôt qu’à sa condamnation »[8].
Manifestations procédurales devant la juridiction de jugement. Le principe de présomption d’innocence se retrouve dans certaines règles procédurales applicables devant les juridictions de jugement. Ainsi, pour ne donner que deux exemples, devant la cour d’assises, les règles relatives aux majorités requises sont favorables à l’accusé et retranscrivent cette idée qu’il ne faut condamner qu’en cas de certitude : « les bulletins blancs, ou déclarés nuls par la majorité, sont comptés comme favorables à l'accusé »[9] et « toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de 7 voix au moins [sur 9 en première instance] et de 8 voix au moins [sur 12 en appel][10] »[11]. En outre, en matière correctionnelle et en matière criminelle, les juridictions de jugement doivent motiver la décision de culpabilité[12]. En effet, depuis 2012[13], une « feuille de motivation » est désormais annexée à la décision de la cour d’assises. Elle doit consister « dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises et qui ont été exposés au cours des délibérations »[14].
II) Les présomptions de culpabilité
Exception à la charge de la preuve : les présomptions de culpabilité. Malgré tout, il arrive que s’opère un renversement de la charge de la preuve, et c’est donc à la personne poursuivie de prouver son innocence. Les présomptions de fait peuvent ainsi permettre de déduire l’élément moral de l’infraction à partir d’un ou plusieurs faits matériels pour déceler la véritable intention de l’auteur[15]. Plus rarement, les présomptions peuvent aussi porter sur un aspect de l’élément matériel, pour certaines infractions spécifiques[16].
Conditions de validité des présomptions de culpabilité. Dans sa décision du 16 juin 1999[17], le Conseil constitutionnel indique que « le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable [autrement dit, elles doivent supporter la preuve contraire], qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ». Dès lors, il déclare conforme à la Constitution la disposition qui met à la charge du titulaire de la carte grise, le paiement des amendes pour excès de vitesse (sans que sa responsabilité pénale ne soit reconnue et sans qu’il ne subisse un retrait de points) à moins que le titulaire n'établisse l'existence d'un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu'il n'apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction. Dans une autre décision, en 2009[18], la même juridiction déclare inconstitutionnelle la présomption de culpabilité établie par la loi « Hadopi I » en reprenant sa justification de 1999. La Cour européenne des droits de l’Homme[19], quant à elle, admet aussi ces présomptions si elles sont limitées aux enjeux en question et au respect des droits de la défense.
Caractère réfragable des présomptions. La véritable limite des présomptions de culpabilité repose donc sur leur caractère simple, en ce qu’elles sont réfragables.
Il sera donc toujours possible pour l’accusé de rapporter la preuve contraire de cette présomption.
Cela permet de trouver un équilibre entre renversement de la charge de la preuve d’une part, et sauvegarde des libertés individuelles et du principe de présomption d’innocence d’autre part.
Dans ces conditions, la présomption d’innocence n’est pas réduite à néant, et ce n’est que dans des cas exceptionnels que la charge de la preuve reposera sur la personne poursuivie. Le principe de la présomption d’innocence comporte plusieurs implications procédurales, à commencer par le droit de ne pas s’auto-incriminer.
III) Le droit au silence et le droit de ne pas s’auto-incriminer
Également, la présomption d’innocence comporte deux corollaires : le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, et le droit au silence.
Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination induit qu’un individu ne peut être condamné au seul motif de son silence, ou en d’autres termes, le mutisme ne saurait constituer une unique preuve de culpabilité.
Le droit au silence induit qu’une personne soupçonnée ne peut être contrainte de subir des pressions, ou d’être soumise à des stratagèmes pour obtenir une preuve sur sa culpabilité.
Comment obtenir une preuve alors que la personne est en droit de ne jamais s’exprimer sur les faits?
Quelle serait la valeur d’une preuve obtenue contre la volonté d’une personne ? Obtenue par la force ? À une époque, la torture, ou la Question[20] était utilisée pour obtenir des aveux des personnes soupçonnées. Comment avoir la certitude que la preuve obtenue n’est pas donnée dans le seul but de voir les souffrances infligées s’arrêter ? Cette position, justifiée par le principe de la dignité humaine, vise par exemple à lutter contre les pressions qui pourraient être exercées à l’encontre d’un individu.
Ce principe est un moyen d’assurer un équilibre entre les parties, entre un ministère public ayant de nombreuses ressources dans le cadre de la charge de la preuve, et un défendeur avec ses moyens propres. Il assure une meilleure recherche de la vérité judiciaire, qui ne serait pas influencée par des pressions.
De plus, la personne poursuivie n’est pas tenue de collaborer à la recherche de la vérité. Dès lors, elle ne peut y être forcée.
Elle a même l’autorisation de mentir ; raison pour laquelle l’accusé ne prête pas serment, contrairement à un témoin par exemple.
Toutefois, des procédés existent pour pallier certains obstacles probatoires. En effet, un individu soupçonné peut refuser tout prélèvement corporel, ou tout accès à un moyen de cryptologie lui appartenant[21]. Face à cette difficulté, des prélèvements contraints sont possibles par le biais de réquisitions à cette fin[22], y compris l’accès forcé à un moyen de cryptologie[23].
A noter qu’en cas de refus la personne peut se voir condamnée pour une infraction autonome : le refus de se soumettre à un prélèvement biologique[24], ou pour refus de communiquer la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie[25].
En quoi ces procédés et présomptions respectent-ils le principe de la présomption d’innocence?
Concernant les prélèvements corporels réalisés sans le consentement de la personne concernée, l’article l’autorisant a fait l’objet d’une modification récente avec la loi du 24 janvier 2023 n°2023-22. Il cantonne cette possibilité à l’enquête de flagrance, et à des conditions légales. Dès lors, la Cour de justice de l’Union européenne avait précisé, récemment, que de tels prélèvements devaient être réservés aux cas de « nécessité absolue »[26]. Ce que la norme pénale exige. De plus, la Cour de cassation a jugé qu’il était possible de réaliser un prélèvement sanguin, sans le consentement de la personne, dans un objectif d’administration de la preuve[27]. Cette décision, discutée, admet une dérogation au consentement de l’individu pour un prélèvement sanguin ou salivaire dans l’enquête de flagrance. Ainsi, ce procédé, bien qu’attentatoire au droit de ne pas s’auto-incriminer, et à l’inviolabilité du corps humain, semble intervenir dans une nécessité de compromis entre protection de l’ordre public et liberté individuelle.
L’accès à la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir un lien avec la commission d’une infraction a interrogé sur sa légalité au regard du principe de la présomption d’innocence. Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé que ce texte poursuivait l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des infractions et de recherche des auteurs d’infraction. Ainsi ce procédé ne tend pas à obtenir des aveux de l’accusé, ainsi n’emporte pas une reconnaissance de culpabilité ou d’innocence[28].
Le droit est une matière mouvante, en évolution constante, et d’autant plus le droit pénal. On observe une véritable tension entre présomption d’innocence et administration de la preuve, puisqu’elles tendent toutes deux vers des objectifs opposés mais doivent nécessairement fonctionner ensemble. Les évolutions, législatives ou jurisprudentielles, sont certaines, mais il est possible de les voir influencées par la jurisprudence européenne, comme ce fut déjà le cas, ou par des recommandations. Par exemple avec le rapport d’octobre 2021[29] ayant émis diverses recommandations sur le principe de la présomption d’innocence, en ce qu’il représente un défi pour l’État de droit.
Dans une quête perpétuelle d’une meilleure administration de la Justice, des changements auront nécessairement lieu.
Adélie JEANSON-SOUCHON et Mathilde SAUER
[1] L’article 11 de la DUDH dispose « 1. Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. »
[2] L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que « 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
[3] L’article 14 du Pacte international sur les droits civils et politiques énonce que « 2. Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie »
[4] L’article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui dispose que « 1. Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.»
[5] DC n°80-127 19 et 20 janvier 1981
[6] Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes qui a introduit dans le Code l’article préliminaire.
[7] Art. 9-1 C.civ. : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
[8] Institutes au droit criminel, Muyart de Vouglans, 1767
[9] Art. 358 C.proc.pén.
[10] Ces seuils ont été relevés par la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 afin de renforcer la nécessité d’une certitude pour condamner une personne
[11] Art. 359 C.proc.pén.
[12] Voir les articles disponibles dans cette revue : « La juridiction pénale compétente : un élément déterminant dans le poids de la preuve ? », Mathilde SAUER et « Preuve et intime conviction », Valentine PIC, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal
[13] Entrée en vigueur le 1ier janvier 2012 de la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs
[14] Art. 365-1 C.proc.pén.
[15] Par exemple, en cas de violence avec usage d’une arme à feu, l’intention homicide sera plus facilement retenue que si l’arme utilisée est une paire de ciseau par exemple.
[16] Par exemple, l’article 321-6 du Code pénal dispose que « Le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, (…) est puni (…) ». Autrement dit, cet article pose une présomption de recel-profit pour les personnes qui remplissent les conditions prévues par le texte. Toutefois, cette présomption supporte la preuve contraire (si le prévenu parvient à établir sur les fonds ont une origine légale, il ne sera pas condamné).
[17] Conseil constitutionnel, décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs
[18] Conseil constitutionnel, décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi « Hadopi I »
[19] Voir CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c. France, req. n° 10519/83 qui indique que « L’article 6-2 ne se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense. »
[20] Voir l’article disponible dans cette revue : « L’histoire des modes de preuve, de l’Antiquité au Moyen-Age », Valentine PIC, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal
[21] Voir l’article disponible dans cette revue : « Droit pénal spécial : réflexions sur l’article 434-15-2 du Code pénal », Juliette SUSSOT, Les pénalistes en herbe, revue n°13 : la preuve en droit pénal
[22] Art. 55-1 C.proc.pén.
[23] Art. 434-15-2 C.proc.pén.
[24] Art. 706-56 C.proc.pén.
[25] Art. 434-15-2 C.pén.
[26] CJUE 26 janvier 2023 Ministerstvo na vatreshnite raboti, aff. C-205/21
[27] Cass. Crim., 31 mars 2020, n°19-85.756
[28] Conseil constitutionnel QPC 30 mars 2018 n°2019-696
[29] Rapport du groupe de travail sur la présomption d’innocence, présidé par Élisabeth Guigou – 14 octobre 2021
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