Le principe de légalité de la preuve est une limite à la liberté laissée aux juges dans l’appréciation de celle-ci. Si le juge de jugement décide d’après son intime conviction, il fonde néanmoins sa décision, lorsqu’il statue sur la culpabilité de la personne renvoyée devant lui, sur des éléments probants de différentes valeurs. Au nombre des éléments probants pouvant être rapportés pour fonder cette intime conviction, les procès-verbaux dressés par les enquêteurs semblent avoir une importance particulière.
Ceux-là se définissent comme des actes écrits relatant le déroulement de certains faits afin d’en conserver la trace. Ils sont versés au dossier de la procédure.
À titre liminaire, il convient de distinguer deux types de procès-verbaux dressés par les officiers de police judiciaire. D’une part, il y a des procès-verbaux dans lesquels les policiers relatent par écrit des faits qu’il ont eux-mêmes constatés (par exemple, ils peuvent constater des faits objectifs de violences volontaires, ou un état d’ivresse manifeste). D’autre part, il y a des procès-verbaux dans lesquels les policiers retranscrivent les déclarations qui leur sont faites par des témoins ou des suspects.
Mais alors, dans quelle mesure la force probante des procès-verbaux est-elle renforcée ?
Présentation du principe de légalité.- Avant toute chose, il convient de définir le principe de légalité puisqu’il a une incidence certaine sur la valeur probante des procès-verbaux. Positivement, le principe de légalité de la preuve pénale permet au législateur d’imposer un certain mode de preuve. Négativement, ce principe impose qu’un seul moyen de preuve ne puisse, à lui seul, justifier une condamnation pénale. Par exemple, l’article préliminaire, III), alinéa 8, du Code de procédure pénale dispose qu’«[e]n matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui ». Ainsi, le seul fait que le mis en cause reconnaisse les faits qui lui sont reprochés ne suffira pas pour permettre au juge de rendre une déclaration de culpabilité si l’aveu a été réalisé hors la présence d’un avocat. En outre, l’article 706-62 du Code de procédure pénale édicte une pareille limite s’agissant de la preuve constituée par le témoignage anonyme.
Application du principe de légalité à la preuve par procès-verbal.- S’agissant plus spécifiquement de l’application du principe de légalité à la preuve rapportée par procès-verbal, il faut d’abord souligner que les procès-verbaux peuvent avoir différentes valeurs.
Les procès-verbaux valant à titre de simples renseignements : Par principe, l’article 430 du Code de procédure pénale prévoit que « les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu'à titre de simples renseignements »[1].
Les procès-verbaux valant jusqu’à preuve contraire : Par exception et si l’enquêteur est spécialement habilité à constater des délits par procès-verbal, celui-ci vaut jusqu’à preuve contraire. Seuls certains délits sont concernés[2]. Dans ce cas, la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins conformément à l’article 431 du Code de procédure pénale. Ainsi, la loi édicte expressément que seuls certains modes de preuve pourront contrer la preuve rapportée par un procès-verbal dressé notamment par un officier de police judiciaire ou un agent de police judiciaire. La simple dénégation des informations contenues dans ce document procédural sera insuffisante.
Admission des présomptions légales de culpabilité.- Avant d’en revenir au cœur de la question posée par cet article, à savoir la valeur probante renforcée des procès-verbaux de constat, en tant que limite au principe de l’intime conviction, il y a lieu d’envisager brièvement l’admission des présomptions de culpabilité tant dans la jurisprudence interne que dans la jurisprudence de la CEDH. Conformément au principe de légalité de la preuve pénale, en son aspect positif, la loi édicte des cas dans lesquels le juge est contraint de tenir pour avérés les éléments contenus dans certains documents procéduraux au titre de la présomption légale mise en place, sauf si celle-ci est renversée. Sans s’attarder plus avant sur les problèmes juridiques liés à l’admissibilité des présomptions de culpabilité, s’agissant notamment du principe de la présomption d’innocence et de ses conséquences en matière de charge de la preuve, il convient de souligner que le Conseil constitutionnel a, en 1999, admis la validité de telles présomptions s’agissant de la présomption pesant sur le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule à l’encontre duquel un procès-verbal d’infraction a été dressé[3]. En sus, la Cour européenne des droits de l’Homme a également admis la validité de telles présomptions de culpabilité, profitant à l’administration des douanes. Elle énonce néanmoins que l’admissibilité d’un tel mécanisme en conditionnée, notamment, à la possibilité de renverser la présomption[4].
Procès-verbaux valant jusqu’à preuve contraire.- Comme précédemment énoncé, l’article 431 du Code de procédure pénale dispose que certains procès-verbaux valent jusqu’à preuve contrainte, à condition qu’ils aient été dressés par les agents compétents qui constatent personnellement la commission d’une infraction. Si cet article 431 est inséré dans la partie relative au jugement des délits, l’article 537 du Code de procédure pénale prévoit, en substance, la même force probante renforcée s’agissant des des procès-verbaux constatant les contraventions. Toutefois, si celle-ci est le principe en matière contraventionnelle, en matière délictuelle, elle n’est prévue que dans certains cas limitativement énumérés par la loi.
Par ailleurs et bien qu’il s’agisse d’une lapalissade, il convient de préciser que la force probante renforcée propre à ces procès-verbaux de constat nécessite que ceux-ci soient formellement valides[5]. Ainsi, cette force probante renforcée est conditionnée par plusieurs éléments : l’agent ait été compétent, qu’il ait eu une connaissance personnelle de l’infraction[6], qu’il précise les circonstances exactes de commission de l’infraction et qu’il ait signé le procès-verbal.
Alors, le prévenu devra apporter la preuve de son innocence, ce qui constitue une inversion de la charge de la preuve.
Si la preuve de l’inexactitude des faits rapportés dans un procès-verbal n’est pas rapportée par écrit ou par témoins, la juridiction de jugement doit condamner le prévenu et ne pourra pas, suivant son intime conviction, écarter ledit procès-verbal pour prononcer une décision de relaxe[7]. À titre d’exemple, la preuve résidant dans l’attestation écrite produite par la mère d’un prévenu qui avait certifié que celui-ci avait franchi le feu vert ne permet pas de rapporter la preuve contraire lorsqu’un procès-verbal a constaté le franchissement du feu rouge[8].
Procès-verbaux valant jusqu’à inscription de faux.- D’autres procès-verbaux valent jusqu’à inscription de faux conformément à l’article 433 du Code de procédure pénale notamment. La matière douanière semble être le dernier domaine dans lequel une telle force probante renforcée est édictée par la loi. D’ailleurs, la rédaction de l’article 336 du Code des douanes est une illustration probante (sans mauvais jeu de mot), de la dichotomie relative aux degrés de valeur probante renforcée. Il énonce que «1. Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou de toute autre administration font foi jusqu'à inscription de faux des constatations matérielles qu'ils relatent.
2. Ils ne font foi que jusqu'à preuve contraire de l'exactitude et de la sincérité des aveux et déclarations qu'ils rapportent. »
Alors, il ne peut être opposé à ces procès-verbaux de constat, une preuve contraire rapportée par écrit ou sur simple dénégation.
Le seul moyen à la disposition des plaideurs pour anéantir la preuve contenue dans un tel document procédural est de démontrer que celui-ci constitue un faux en réalisant par écrit la déclaration d’inscription en faux contre le procès-verbal litigieux.
Pour appuyer l’extraordinaire force probante de ces procès-verbaux et la difficulté de réfuter les éléments de preuve qu’ils contiennent, certains auteurs parlent d’une « stabilité probatoire exceptionnelle d’un tel procès-verbal »[9]. La procédure d'inscription de faux est prévue aux articles 642 et suivants du Code de procédure pénale.
Conclusion.- Pour conclure sur la valeur probante renforcée de certains procès-verbaux de constat, il y a lieu de relever que celle-ci ne se transmet pas aux procès-verbaux consécutifs au constat. En effet, les procès-verbaux d’audition notamment ne valent qu’à titre de simples renseignements et conservent leur force probante simple. Comme énoncé ci-avant, le droit douanier prévoit une exception en la matière, à l’article 336 pré-cité, puisque les procès-verbaux contenant des aveux et déclarations font foi jusqu’à preuve contraire.
Juliette SUSSOT
[1] Cass. Crim., 28 oct. 2014, n° 13-84.840 pour un procès-verbal valant à titre de simples renseignements
[2] par exemple, art. L. 8113-7 du Code du travail pour les procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et les fonctionnaires de contrôle assimilés
[3] Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, [Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs], Conformité
[4] CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c. France
[5] Cass. Crim., 5 juill. 1994, n°93-83.845
[6] Cass. Crim., 28 oct. 1991, no 90-84.213 ; Cass. Crim., 5 nov. 1996, no 96-80.151
[7] Cass. Crim., 10 mai 1995, n°94-84.678, Schmitt
[8] Cass. Crim., 7 févr. 2001, n°00-84.520
[9] BUISSON (J), « Preuve Pénale », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, octobre 2020, §164
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