Partie I - La prostitution : entre tolérance et prohibition
« L’État est comme le corps. Toutes les fonctions qu’il accomplit ne sont pas nobles »
Anatole France
Avant-Propos
La liberté sexuelle est la faculté, pour chacun, de choisir sa sexualité et d’entretenir des relations sexuelles[1]. En matière de sexualité le législateur va être contraint de répondre à certains phénomènes (notamment la prostitution, sujet de notre étude, ou encore le sadomasochisme et la pornographie…), non sans difficulté. Sont mis en balance les bonnes-mœurs et les droits et libertés individuels.
Le droit et la morale n’ont jamais été inconnus l’un de l’autre, surtout en matière de sexualité. Au contraire, ils ont toujours été intimement liés mais parfois difficilement conciliables, le bon-vouloir des « bonnes mœurs », étymologiquement reliées à la morale (moralis en latin = mœurs) rythment les tendances pénales. Elle se définie comme « Tout ensemble de règles concernant les actions permises et défendues dans une société, qu'elles soient ou non confirmées par le droit »[2].
La fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle s’inscrivent dans un mouvement progressiste en matière de sexualité. Les évènements de « mai 1968 » peuvent être perçus comme une Révolution sexuelle traduisant le combat de plusieurs années. Rapidement sont apparues les notions d’autonomie et de consentement, marquant le début de la libéralisation et de la désacralisation de la sexualité. C’est l’apparition des poitrines féminines au cinéma et de manière plus générale dans l’art, de la pilule contraceptive, ou encore l’avortement, etc. Cependant, il n’existe aucun droit à la sexualité, ou liberté sexuelle consacrée par le législateur. Ce principe est directement rattaché au respect de la vie privée par exemple[3], ou encore au droit à une vie familiale normale[4]. En revanche, le juge européen, par un arrêt de la CourEDH, a reconnu la liberté sexuelle d’une manière autonome, notamment dans l’arrêt KA et AD contre Belgique de 2005[5]. Les faits renvoyaient à des pratiques sadomasochistes, dans laquelle la Cour se borne à rappeler qu’en effet chacun à droit de se prévaloir de sa liberté sexuelle et de sa pratique comme bon lui semble, sous certaines limites.
Le Code pénal de 1994 réprime déjà les atteintes sexuelles aussi bien physiques que psychiques alors qu’il abandonne la notion de « bonnes mœurs ». Effleurer un genou dans le métro n’est pas un acte intimidant pour tout le monde, il peut pourtant être vecteur d’un certain malaise, chaque appréciation doit être effectuée in concreto. Ainsi toutes les personnes destinataires d’un même acte ne sont pas nécessairement toutes des victimes. De plus, il existe aussi des infractions qui portent une atteinte encore plus directe à la liberté sexuelle comme le viol ou encore les agressions sexuelles[6], par exemple.
Une tolérance naît alors vis-à-vis de la sexualité, bien que relative, mais l’intolérance demeure absolue à l’encontre des mineurs. En effet, en plus des infractions autonomes déjà existantes, comme l’atteinte sexuelle sur mineur[7] ou encore le délit de sextorsion[8], les mineurs sont souvent une cause aggravante des délits et crimes sexuels (agressions, viols, pédopornographie, proxénétisme…).
La sexualité demeure un sujet sensible pour le législateur qui subit directement la pression populaire.
En effet, la sexualité n’a pas seulement pour but la procréation, c’est aussi l’Homme qui s’adonne au plaisir, qui répond à des instincts primaires. Encore faut-il avoir déterminé ce qui relève ou non de la sexualité. L’outrage à la pudeur[9] balayait très (trop ?) largement ce qui portait une atteinte directe à la sexualité. Aujourd’hui, cette infraction a été remplacée par le délit d’exhibition sexuelle[10], ou même le délit d’outrage sexiste[11]. La première infraction réprime le fait de permettre à n’importe qui, depuis la voie publique, de percevoir visuellement des organes génitaux, ou ayant une connotation sexuelle (comme la poitrine[12] ou des actes sexuels ou ayant eux aussi une connotation sexuelle). La seconde infraction est d’autant plus vague puisqu’elle exige un comportement à connotation sexuelle portant atteinte à la dignité. Aujourd’hui encore, le champ de la sexualité est difficile à délimiter, rendant les textes difficiles d’interprétation et faisant frein au principe d’interprétation stricte de la loi pénale[13].
Les limites sont floues et la matérialité des infractions difficile à percevoir, mais certains phénomènes de la sexualité ont été appréhendés par le droit et leur régime s’est vu évoluer en même temps que leur société, notamment, et à titre d’exemple, la prostitution et le sadomasochisme.
L’ordre du jour est à la thématique de la prostitution, en effet cela fera l’objet d’une première étude, tandis que le sadomasochisme sera traité lors d’une seconde étude, s’inscrivant aussi dans le mouvement de la liberté sexuelle.
Il convient d’organiser le propos en trois grandes parties. Dans un premier temps, il s’agira d’étudier les origines et évolution du phénomène prostitutionnel (I). Ensuite, il convient de s’intéresser à la législation actuelle : entre ce que prévoit le législateur et ce qu’il ne prévoit pas (II). Enfin, ce que pourrait devenir la prostitution, ce vers quoi elle tend. (III).
La prostitution est un phénomène dont le droit subit une constante évolution et questionnement. Aussi bien tenté soit-il d’y éluder toute morale, le droit n’y sera jamais imperméable dès lors qu’il concerne le corps humain. Il est important de souligner que son évolution s’est aussi inscrite dans des sociétés régies par le patriarcat, ne pouvant en déplaire aux hommes.
Le terme « prostitution » est issu du verbe « prostituere » qui signifie « exposer publiquement ». En effet, elle revêt une forme d’exhibition de l’intime. Car le corps n’est pas un lieu public, il relève de l’intime, du privé, du soi. La prostitution n’est pas une infraction pénale en France, raison pour laquelle le législateur ne s’est jamais attelé à sa définition, tandis que le juge pénal l’a fait dans un arrêt de 1996[14] : « il s’agit du fait de se prêter, moyennant rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui. »
Ainsi, sont mises en balance les bonnes mœurs et la morale d’une part, face au droit de disposer de son propre corps. Faut-il interdire la prostitution simplement parce qu’elle serait synonyme de débauche ? Faut-il la tolérer parce que l’on ne réprime pas ou plus ce que les personnes se font subir à elle-même ? Ou faudrait-il l’encourager parce que le législateur doit garantir et préserver les droits individuels de chacun dont celui de disposer librement de son propre corps ? Faut-il encourager, ou tolérer la prostitution en ce qu’elle permet une rémunération comme moyen de subsistance ?
Quelques chiffres avant d’entrer dans le vif du sujet : En France, on compte environ 30 000 personnes prostituées, dont l’écrasante majorité sont des femmes avec 85%[15]. Parmi ces 30 000 travailleurs du sexe, 92% sont étrangers[16].
I) Histoire et évolution de la prostitution occidentale
La prostitution dans l’Antiquité et au VIe siècle av. JC. Selon l’adage, la prostitution est " le plus vieux métier du monde ". Dès 3000 ans avant notre ère (Antiquité), la prostitution est déjà un phénomène existant. On évoquait la prostitution dite « sacrée » en ce sens qu’elle était pratiquée afin de mettre à l’honneur la déesse de la fertilité[17]. En Grèce, au VIè siècle av. JC, les prostitués sont plutôt perçus comme étant des esclaves. Il s’agissait généralement d’orphelins, ou personnes sans ressources. De la même manière à Rome, aux Ier et IIème siècles, la prostitution est florissante et coutumière, prévue dans des maisons closes, dans des auberges, ou même dans la rue.
Entre le XVIIe et le XIXe siècle. La responsabilité morale des rois vient en pâtir. Des asiles ouvriront en Italie et Espagne pour y interner les femmes prostituées afin de se repentir, souvent accusées de pêchés religieux. En France, en 1658 même solution, les femmes coupables de prostitution, adultère ou fornication[18], seront internées à l’hôpital de la Salpêtrière jusqu’à ce qu’elles se soient repenties selon l’appréciation sacrée et discrétionnaire des religieuses. Mais cette tendance répressive sera de courte durée.
Au XIXe siècle. En France, on fait le choix d’opter pour une prostitution encadrée en dépit d’une prostitution clandestine. C’est l’apparition de maisons closes, de visites médicales pour éviter les maladies sexuellement transmissibles, la prostitution ne peut s’exercer que dans des lieux prévus par les textes et soumis à une certaine surveillance. Réglementation pour le moins sécurisante, où l’on commence à percevoir les prostitués comme étant des victimes qu’il faut protéger par la loi.
La loi Marthe Richard du 13 avril 1946. Après l’interdiction de la prostitution menant aux asiles, la réglementation avec les maisons de tolérances, la France est le premier pays à faire le choix en 1946 de son l’abolition.
Le 13 avril 1946, la loi Marthe Richard met fin aux maisons closes sans qu’il n’ait lieu d’aucun remplacement textuel. Les textes n’interdisent ni ne réglementent la prostitution : c’est son abolition.
Marthe Richer de son vrai nom était elle-même une travailleuse du sexe avant de devenir une grande espionne, très rapidement, elle devient porte-parole d’un mouvement hostile aux « maisons de tolérance ». En effet, elle déplorait une « débauche organisée et patentée » qui profitait à la mafia, mais aussi aux criminels de guerre. Durant le régime de Vichy, le ministre de l’intérieur M. Peyrouton accordait une reconnaissance telle aux maisons de tolérance qu’elles pouvaient même recouvrir la personnalité juridique de société par actions[19]. Marthe Richard dépeint un portrait de l’utilisation des corps de femmes et d’hommes, à des fins financières, cela serait aujourd’hui qualifié de proxénétisme. La morale a très rapidement rattrapé ce courant réglementariste, les femmes et les hommes sont tous libres de disposer de leur corps comme ils l’entendent.
L’observatoire français des drogues et des tendances addictives a dressé un rapport sur la consommation de drogues dans le milieu de la prostitution féminine (à relativiser, car il est en date d’octobre 2004). Dans ce dernier il est indiqué que 93% des femmes prostituées interrogées se prostituent pour leur subsistance, 17% pour subvenir à leurs besoins en plus de ceux de leur famille. 7% déclarent avoir besoin d’arrondir leurs fins de mois, une infime minorité se prostitue alors pour le plaisir, ou pour payer leur « cailloux » (payer leurs produits stupéfiants, mais il semblerait que pour la plupart des usagers, cela rentre dans la subsistance)[20].
Cet acte est perçu comme un « mal nécessaire », raison pour laquelle il n’a été que très peu réprimé (dans le temps). Ce faisant, les esprits ont évolué, puisque désormais la prostitution n’est plus interdite, mais des infractions orbites laissent entendre à une réglementation déguisée.
II) La réglementation passive de la prostitution
Bruno Py a dit que « la prostitution, comme le suicide, sont des actes déviants et non délinquants ». En effet, le phénomène de prostitution semble dénué de toute morale, marchander des prestations sexuelles, monnayer sa chair, comme si l’usage du corps avait un prix.
Si ce sujet est si sensible c’est parce qu’il est directement lié au tabou de la sexualité envers laquelle la société et le législateur se montrent encore pudiques.
Il existe une forme de sacralisation du corps, en tant qu’enveloppe charnelle et sacrée.
Ainsi, la prostitution est libre, certes, mais elle reste encadrée passivement par le législateur. Le maître-mot étant l’autonomie personnelle, chacun est libre de disposer de son corps et de sa sexualité comme il l’entend[21]. En ce sens, chaque personne est libre de vouloir se prostituer ou non. Mais des interdits gravitent autour de cette pratique.
A. Le racolage
La notion de « racoler » se définie comme « prendre par le col, par le collet ». Cela revêt vulgairement une incitation à commettre un acte sexuel.
Avant 2016, le racolage était interdit par l’ancien article 225-10 du Code pénal : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. » Dans l’ancien Code pénal, on évoquait même une incitation à la « débauche ». Il existe à la fois le racolage passif et actif, la distinction étant fine, souvent plusieurs amendes étaient prononcées à l’encontre des mêmes personnes lors d’une même soirée. En 1956, la Cour de cassation avait déjà déterminé que « L'usage que fait du trottoir une péripatéticienne en allant et venant est en soi licite. Aucun motif d'ordre public ne peut être invoqué pour restreindre le droit de circuler des prostituées lorsqu'elles ne procèdent à aucun racolage aux termes de la loi »[22]. Il fallait distinguer la présence sur les trottoirs des travailleuses (travailleurs aussi !) de leur incitation à recourir à leurs services. Limite parfois sensible, l’interprétation du texte était rarement uniforme, étant donné la difficulté de constater la matérialité des faits.
Le seul statut de prostituée ne suffisait pas à caractériser l’infraction, fort heureusement[23], cependant, de simples gestes ou sourires[24] envers les hommes, ou encore la répétition d’auto-stop sur routes fréquentées par des militaires[25] étaient constitutifs de l’élément matériel du racolage. Le souci d’une telle infraction est son interprétation trop large pouvant être à la fois très rigide, mais aussi très souple. Ainsi, une simple tenue vestimentaire, une démarche, du maquillage osé sauraient être constitutifs d’une infraction au bon vouloir de ceux qui la constatent. La marge d’interprétation étant trop large, et la jurisprudence trop éparse, le législateur est venu rajouter dans l’article 225-10-1 du Code pénal, le critère du service payant.
En 2006, un grand mouvement de dépénalisation du racolage prend forme, et des suites d’une manifestation appelée la « pute pride »[26], dans laquelle les militants déplorent leur statut de délinquant alors qu’ils ne souhaitent que revendiquer « la reconnaissance de leur métier et de leurs droits humains »[27]. Un syndicat du travail du sexe (STRASS) est même créé en 2009 ayant pour devise « ni réglementaristes, ni abolitionnistes : syndicalistes ! » et pour objectif la décriminalisation du travail sexuel. Le but étant de protéger les travailleurs du sexe, de prévenir les maladies auxquelles ils sont exposés, ou encore les violences auxquels ils font face. Des mouvements se créent, les langues se délient, et en 2016, par une loi du 13 avril[28], le racolage est aboli. Allouant la revendication décomplexée de la prostitution.
B. Le recours à la prostitution, infraction prévue depuis mars 2020
La loi française interdit toute prestation sexuelle, quelle qu’elle soit moyennant une rémunération[29]. En ce sens, la prostitution n’est pas réprimée en ce qu’une personne peut faire le choix d’impliquer son corps ou de proposer des relations sexuelles contre une rémunération. La proposition n’est pas répréhensible en ce qu’elle est garantie par le principe d’autonomie personnelle, chaque personne peut faire ce choix pour sa propre personne. A l’inverse, un individu ne peut utiliser le corps d’autrui contre rémunération, s’agissant d’une atteinte considérable à l’intégrité physique, à la dignité et à la liberté sexuelle, l’État considère aujourd’hui cela comme une violence[30].
Le droit civil permet d’apporter une réponse plus claire et formelle. Dans le même sens que la loi interdit la gestation pour autrui[31] au nom de l’indisponibilité du corps humain[32], en ce sens, la loi n’autorise pas non plus de pouvoir recourir à des prestations sexuelles, contre un financement. Le législateur réglemente passivement la prostitution en interdisant son recours. Le point de liaison entre droit pénal et droit civil est le consentement.
D’un point de vue pénaliste, une relation sexuelle doit être consentie, ou bien, elle pourrait tomber sous le coup d’une agression sexuelle ou encore d’un viol.
Dès lors, d’un point de vue civiliste, une prestation de service (en l’espèce, des prestations à caractère sexuels) moyennant rémunération pourraient entrer dans le champ contractuel. À noter que tout contrat valable exige le consentement des parties, leur capacité à contracter et un contenu licite et certain[33]. Or, l’indisponibilité du corps humain justifie que l’objet d’un tel contrat serait illicite. La prestation sexuelle en tant que prestation de service rend s’entend comme une entrave à l’indisponibilité du corps humain.
Concernant dès à présent le consentement des travailleurs/travailleuses du sexe, n’est-il pas vicié par la somme d’argent promise ? Peut-on véritablement affirmer qu’il s’agisse d’un consentement libre et éclairé exempt de tout vice ? Civilement, un contrat de prestation sexuelle est donc impossible au titre des grands principes visant à protéger les atteintes à la dignité et à l’intégrité physique, principes consacrés pas la Convention européenne des droits de l’Homme[34], le consentement libre et éclairé étant également discutable.
Il faut entendre que la prostitution peut à la fois être résultante d’un choix, étant une source d’argent facile, en effet selon une étude menée par le gouvernement, la traite des êtres humains est la 2ème forme de criminalité la plus lucrative derrière le trafic de stupéfiants. On estime à 100 000 milliards de dollars par an, à l’échelle mondiale, les profits provenant de l’exploitation sexuelle[35].
La prostitution doit également être perçue comme une contrainte à laquelle doivent s’astreindre certaines personnes pour survivre à une situation précaire. De plus, la pratique n’est pas sans risque, les travailleurs du sexe s’exposent directement aux maladies sexuellement transmissibles, mais aussi aux agressions sexuelles et aux viols, voire même à des violences. Le simple statut de prostitué n’est pas synonyme de consentement libre et éclairé par défaut. Certaines affaires célèbres rappellent qu’il s’agit d’un phénomène vecteur de nombreuses autres infractions incidentes (relatives aux stupéfiants, ou encore aux violences…), le décès par balle de Vanesa Campos à Paris en 2018, pourrait en faire état[36].
C. Le proxénétisme
Le proxénétisme s’entend comme une forme d’exploitation des travailleurs du sexe. Il pourrait s’agir d’une forme de recel ou de complicité, mais pour cela est exigée une infraction, or, la prostitution n’en est pas une. Le proxénétisme utilise la prostitution d’autrui à des fins financières ou quelconque autre bénéfice. C’est bénéficier de toutes les manières qu’il soit de la prostitution d’autrui, même d’en être le dirigeant. Il existerait plusieurs types de proxénétismes : l’incitateur, l'assistant, l'entremetteur, le partageur et le logeur[37].
Le Code pénal réprime le proxénétisme à ses articles 225-5[38] et suivants. Le proxénétisme « simple » est puni d’une peine de 7ans d’emprisonnement, pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est commis avec des actes de torture et de barbaries. Il s’agit d’une infraction formelle n’exigeant pas nécessairement de résultat. Le législateur le définit comme « le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
1° D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ;
2° De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
3° D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire.
Le proxénétisme est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende »
Difficile d’admettre une once de vertu dans cette pratique visant à exploiter le corps d’autrui à des fins pécuniaires (entre autres), se rapprochant intimement de la prostitution-esclave qui pouvait exister en Grèce au Vie siècle avant notre ère.
Tout le principe d’autonomie personnelle est alors bafoué par le proxénète qui se voit être finalement le gérant d’un trafic de corps, voire d’actes sexuels, il opère des choix, des incitations ou encore des contraintes relatives à l’intimité, à l’intégrité physique d’autrui, relativement irrecevable aux yeux des « bonnes mœurs », de l’éthique et de la moralité. Le proxénète est une personne qui peut être le vecteur d’un climat violent de contrainte et d’emprise[39].
En effet, les réseaux de prostitution sont souvent assimilés à des climats de violence, et de misère humaine. 51% des personnes prostituées auraient subis des violences dans le cadre de leur activité[40]. En témoignent de nombreuses affaires criminelles connues (le meurtre de Ginka, prostituée bulgare en 1999, ou encore le meurtre de Vanesa Campos en 2018, prostituée transgenre argentine). La prostitution est un mal nécessaire pour certaines personnes en besoin d’argent, et qui, bien souvent, se trouvent dans une situation irrégulière.
Le Conseil d’État a pu se prononcer en revendiquant que « dès lors qu’elle est contrainte, la prostitution est incompatible avec les droits et la dignité de la personne humaine »[41].
Pour autant, il n’en demeure pas moins que les proxénètes ne sont pas nécessairement des tyrans. Parfois ils sont des garants, qui permettent une forme de sûreté de l’emploi et de sécurité. A titre d’exemple, la célèbre Madame Claude était perçue comme "mi-héroïne, mi-monstre, un peu comme Pablo Escobar"[42].
Surnommée la « maquerelle de la République », elle a été condamnée pour proxénétisme aggravé et fraude fiscale. Pour autant, ses réseaux n’étaient pas reconnus violents ou dangereux, au contraire. Elle est à la tête d’un réseau de prostitution de luxe, dans lequel elle forme, habille et éduque « ses filles ». Les hommes politiques et célébrités de l’époque étaient assez friands de ses filles de joies haut de gamme, notamment John Fitzgerald Kennedy, ou encore Marlon Brando. Madame Claude de son vrai prénom Fernande Grudet inscrit son activité dans la période des Trente Glorieuses, dans laquelle elle n’a pas craint de libérer et permettre aux femmes d’être les seules décisionnaires leur liberté sexuelle dans une période misogyne. Son réseau était demandé, et les femmes qui souhaitent en faire partie devaient être candidates et passaient des entretiens, témoignant de leur volonté d’adhésion à un tel système. Ce n’est pas sans bavures que cette activité était menée, de nombreuses « filles » de Madame Claude revenaient ecchymosées, ensanglantées ou encore terrorisées des pratiques auxquelles elles avaient été soumises. Mais Madame Claude, étant sollicitée pour son réseau par de grands politiques, elle était la destinataire de toutes les confidences d’oreillers de ses filles, carte qu’elle n’a pas hésité à jouer.
Elle fut malgré tout rattrapée par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing, ses actes restent et resteront inscrits dans un mouvement féministe, motivant que le proxénétisme n’était pas seulement péjoratif dans sa forme.
III) La prostitution en devenir
La prostitution en tant que telle n’est pas pour ainsi dire légale, mais tolérée puisque l’on considère les prostitués ou travailleurs du sexe comme des victimes, en témoignent les nombreux interdits qu’elle génère. Mi protégés, mi contraints, les travailleurs du sexe voient ce régime comme une entrave à leur liberté d’entreprendre. Ni la réglementation de la prostitution ni son abolition se sont révélés être des idéaux. A l’aune des mouvements féministes, de la désacralisation de la sexualité, de la libération du corps, la moralité fait toujours frein à ces pratiques difficilement conciliables avec le regard que la société porte, de manière générale, sur la sexualité. Mais la tendance est à l’élargissement de l’interprétation de la liberté sexuelle, et de l’autonomie personnelle, sans pour autant que l’on puisse considérer la prostitution comme un phénomène à encourager, bien au contraire, il faut en sortir.
Il peut être intéressant d’évoquer un projet de loi issu de l’association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (APPAS). Cette dernière a pour but d’encourager le législateur à dépénaliser le recours à la prostitution. Car en effet, le but de l’association est d’accompagner les personnes en situation de handicap dans leur vie affective, sensuelle et sexuelle dans le respect de l’esprit de la Santé sexuelle promue par l’OMS. Ce projet de loi exige des exceptions, soit une permission de la loi justifiée par la situation de handicap des membres de l’association. Leur demande est simple : Autoriser le recours à la prostitution pour les personnes en situation de handicap. Ne s’agit-il pas une forme de discrimination positive ? En répondant par l’affirmative, le législateur bafouerait les valeurs qu’il souhaite garantir en interdisant les « à côtés » de la prostitution. Chacun fait le choix de l’usage de son corps, mais on ne sollicite par le corps d’autrui aux fins de prestation de service. Cependant, cela permettrait une activité libre et certainement suivie, sécurisée, contrôlée des travailleurs du sexe.
L’organisation et la contractualisation sont impossibles en la matière, l’indisponibilité du corps humain ainsi la non-patrimonialité du corps humain se heurtent à ce qu’une institution régisse les prestations sexuelles d’autrui[43]. Marthe Richard a finalement eu gain de cause, le 13 avril 1946 marque la fin des maisons de tolérance, la prostitution devient une activité libre, ou presque. Ce n’est pas la volonté de l’État, tiraillé entre la libre disposition de son corps et les violences auxquelles sont astreints les prostitués qu’il souhaiterait aider.
Sinon, faut-il entièrement assumer comme nos voisins hollandais, l’existence de ce phénomène et en protéger ses acteurs, notamment avec des lieux prévus à cet effet, régis par des règles sanitaires et sociales.
Pour autant, ce régime ne saurait pas non plus éluder certaines dispositions relatives à l’imposition, ou encore au travail des étrangers en situation irrégulière, réprimable en France[44]. Il faudrait user de la technique des faits justificatifs par la permission de la loi, au même titre que les messageries roses avaient pu être rendues licites en 1988, dans la limite du raisonnable[45].
Aujourd’hui, le phénomène s’inscrit dans une volonté de lutte contre la violence faite aux femmes. Les travailleurs du sexe sont perçus comme des victimes de violence, et non pas comme auteurs d’une infraction. Cela s’inscrit alors dans le 5ème plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes (2017-2019)[46]. Ce dernier prévoit 3 objectifs :
Mettre en place le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle et accompagner les victimes
Prévenir l’achat d’actes sexuels
Condamner les acheteurs d’actes sexuels
L’État considère le système prostitutionnel est une forme de violence dont il faut protéger les victimes : les travailleurs du sexe. Il souhaite renforcer ses partenariats auprès d’associations des violences faites aux femmes (bien qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène 100% féminin), par des financements et des prises en charge de sortie de la prostitution. Il considère alors que ce phénomène est un problème vecteur de nombreuses atteintes qu’il souhaite de diminuer par un accompagnement et tout un processus de « sortie ». Cependant, ce n’est pas la position adoptée par tous, puisque certains acteurs militent pour que la prostitution soit perçue comme un métier libre et reconnu.
Valentine PIC
[1] Jean-Pierre MARGUENAUD, « Liberté sexuelle et droit de disposer de son corps », 2009
[2] Définition du trésor de la langue française informatisé, dictionnaire de la langue française des XIXème et XXème siècles.
[3] Article 9 du Code civil
[4] Article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme
[5] CEDH, KA et AD contre Belgique 2005, Requêtes n°42758/98 et 45558/99
[6] Viol : Art 222-23 à 222-26-2 du Code pénal. Agression sexuelle : Article 222-22 du Code pénal.
[7] Article 227-25 du Code pénal
[8] Article 227-22-2 du Code pénal
[9] Ancien article 330 du Code pénal : « Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende de 500 F à 15000 F. »
[10] Article 222-32 du Code pénal
[11] Article 621-1 du Code pénal
[12] Chambre criminelle de la Cour de cassation, 10 janvier 2016, n°17-80.816
[13] Article 111-4 du Code pénal
[14] Cass. Crim., 27 mars 1996, n°095-82016
[15] Renvoi à la revue n°8 des Pénalistes en herbe « La protection des femmes et le droit pénal ».
[16] Étude issue du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/les-chiffres-cles-de-la-prositution/
[17] Jean Bottéro : Mésopotamie : l’écriture, la raison et les dieux, 1987
[18] Le dictionnaire « Le Robert » définit la fornication comme étant « le péché de la chair » évoquant des relations sexuelles. Son étymologie est issue des « fornix » étant des arcades, ou passages voutés devant lesquels les travailleurs et travailleuses du sexes s’exhibaient pour inciter à avoir des relations de nature sexuelles avec eux.
[19] Bruno Py, professeur de droit privé spécialisé en droit pénal et droit médical. Membre de l’Institut François Gény, plus particulièrement de l'équipe de recherche en sciences criminelles et en droit médical ISCRIMED : Prostitution – Proxénétisme – Racolage, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Septembre 2020
[20] La consommation de drogues dans le milieu de la prostitution féminine par Suzanne CAGLIERO et Hugues LAGRANGE, Octobre 2004 - https://www.ofdt.fr/
[21] Principe issu d’un arrêt de la CourEDH de 2002, Pretty c/ Royaume-Uni. Cet arrêt concernait la fin de vie, mais dégage le principe de l’autonomie personnelle, c’est « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend. » [22] Cour de cassation, chambre criminelle. 1er février 1956
[23] Crim. 22 juin 1983
[24] Crim. 16 janv. 1973
[25] T. corr. Poitiers, 24 juill. 1958 [26] Marche de la fierté des personnes qui se prostituent. Comme les gay Pride, pour les mouvements plus connus des personnes LGBTQ+.
[27] Article Le Monde, du 18 mars 2006 : Défilé de la Pute Pride à Paris
[28] Loi n°2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
[29] Articles 225-12 à 225-12-4 du Code pénal
[30] https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/dossiers/lutte-contre-les-violences/lutte-contre-le-systeme-prostitutionnel-et-accompagnement-des-personnes-prostituees/ : Site du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances
[31] Article 16-7 du Code civil
[32] Articles 16-1 et suivants : interdisant toute convention portant sur la gestation pour autrui.
[33] Article 1128 du Code civil
[34] Articles 3, 4 et 8 de la Conv.EDH
[35] Étude issue du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/les-chiffres-cles-de-la-prositution/
[36] Deux des neuf mis en causes ont été condamnés à vingt-deux ans de réclusion criminelle pour meurtre en bande organisée, et les autres écopent de trois à six ans d’emprisonnement le samedi 29 janvier 2022. L’un comparaîtra au tribunal pour enfants, toujours mineur au moment des faits.
[37] Bruno Py, Prostitution – Proxénétisme – Racolage, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Septembre 2020.
[38] Ces articles répriment les infractions suivantes : Le proxénétisme simple comme définit à l’article 225-5 du C. Pén (7ans + 150 000€). Le proxénétisme aggravé, lorsqu’il concerne des mineurs par exemple à l’article 225-7 du C. Pén (10 ans + 1 500 000€), exception faite aux mineurs de 15 ans (20ans + 3 000 000€), Même peine que le proxénétisme en bande organisée. (Art 225-7-1 et 225-8 du C. Pén.).
[39] L’association « Amicale du nid » défend les droits des femmes et s’inscrit dans le refus de toute forme de discrimination, d’homophobie, de transphobie, de racisme et de sexisme. Elle a recueilli de nombreux témoignages anonymes de personnes ayant connu la prostitution, et déclarant être une « victime psychologique et physique de la prostitution », qu’il s’agit d’un monde « concrètement très violent ».
[40] Statistique issue du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/les-chiffres-cles-de-la-prositution/
[41] Conseil d’État, 10ème et 9ème chambre, 7 juin 2019.
[42] Article Madame Figaro, le 03 avril 2021 par Isabelle Girard : Madame Claude, enquête sur un personnage "mi-héroïne, mi-monstre, un peu comme Pablo Escobar" [43] Cf. Infra : C. Le proxénétisme [44] Article L 8251-1 du Code du travail « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ». [45] Conseil d'État, 2 / 6 SSR, du 8 décembre 1997, 171134, publié au recueil Lebon [46] https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/5eme-plan-de-mobilisation-et-de-lutte-contre-toutes-les-violences-faites-aux-femmes-2017-2019/ Site du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances