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Un revirement de jurisprudence concernant le transfert de responsabilité des sociétés absorbées

Dernière mise à jour : 26 nov. 2023

Ce commentaire d'arrêt a été publié pour la première fois par Anouck GASNOT, en février 2021, dans La Revue n°9.


Cass. Crim., 25 novembre 2020, n°18-86.955


Alors que la jurisprudence est constante depuis près de vingt-ans sur la responsabilité pénale d’une personne morale en cas de fusion-absorption, la Chambre criminelle, réunie en formation solennelle, opère un revirement de jurisprudence dans l’arrêt du 25 novembre 2020 en autorisant, sous certaines conditions, le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante.


En l’espèce, une société fut poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de destruction volontaire de bien appartenant à autrui par l’effet d’un incendie provoqué par un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi. L’audience était prévue le 23 novembre 2017. Pour autant, le 31 mars 2017, soit avant d’être convoquée devant la juridiction correctionnelle, cette société avait été absorbée par une autre société à l’occasion d’une opération de fusion-absorption.


La question qui se posait était alors celle de savoir si, en cas de fusion entraînant l’absorption d’une société par une autre, la société absorbante pouvait-être pénalement responsable des agissements commis par la société absorbée avant la fusion ? [1]


I) Sur l’état antérieur du droit et de la jurisprudence

Selon la jurisprudence traditionnelle de la Chambre criminelle, l’article 121-1 du Code pénal selon lequel « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » s’opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion (Crim., 20 juin 2000, n°99-86.742, Bull. crim. 2000, n°237 ; Crim., 18 février 2014, n°12-85.807).


Dans le cadre d’une opération de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée était assimilée au décès d’une personne physique, ce qui avait pour conséquences, d’une part, de faire perdre à la société absorbée la personnalité juridique et d’autre part, l’extinction de l’action publique (par décès).


Dès lors et au regard du principe de la responsabilité pénale personnelle, il n’était pas possible de poursuivre la société absorbante pour des agissements commis par la société absorbée.


Pour autant, la jurisprudence interne a été ébranlée par une décision[2] de la Cour de justice de l’Union Européenne en date du 5 mars 2015[3] aux termes de laquelle la fusion par absorption entraîne, au sens de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978, la transmission à la société absorbante, de l’obligation de payer une amende infligée par décision définitive après cette fusion pour des infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant la fusion.


La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a adopté une position similaire dans sa décision du 24 octobre 2019 Carrefour France contre France[4]. Se fondant sur le principe de la continuité économique existant entre la société absorbée et la société absorbante, elle juge que « la société absorbée n’est pas véritablement autrui à l’égard de la société absorbante » et admet en conséquence que l’application d’une amende civile à une société absorbante pour des actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion par la société absorbée ne porte pas atteinte au principe de personnalité des peines.


En tout état de cause, la CEDH admet que la société absorbante soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption.


II) Sur le revirement de jurisprudence de la Chambre criminelle

Dans l’arrêt inédit du 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation admet qu’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société, la société absorbante peut désormais, à certaines conditions, être condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion.


Les deux hypothèses dans lesquelles la société absorbante peut être responsable :


a/ Ce transfert de responsabilité pénale ne s’applique qu’aux fusions-absorptions entrant dans le champ de la directive européenne relative à la fusion des sociétés anonymes.


Si la fusion entre les deux sociétés relève de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 Octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, alors le transfert de responsabilité sera possible.


Autrement-dit, ce transfert ne s’applique qu’en cas de fusion de sociétés anonymes[5] ou assimilées (c’est-à-dire de sociétés par actions simplifiées[6]).


En outre, il ne sera possible de prononcer à l’encontre de la société absorbante qu’une peine d’amende ou de confiscation[7].


Enfin, la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense (à l’instar d’une exception de nullité) que celle-ci aurait pu invoquer.


Attention, la Chambre criminelle a précisé que cette hypothèse ne s’applique qu’aux fusions-absorptions réalisées après le 25 novembre 2020, se fondant ainsi sur le principe de prévisibilité juridique prévu par l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et du citoyen


b/ « En tout état de cause, quelle que soit la date de la fusion ou la nature de la société concernée, la responsabilité pénale de la société concernée, la responsabilité pénale de la société absorbante peut être engagée si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu’elle constitue ainsi une fraude à la loi »[8].


Dès lors, l’existence d’une fraude à la loi permet au juge de prononcer toute sanction pénale à l’encontre de la société absorbante.


Dans une telle hypothèse, il n’est plus question de prendre en considération la nature de la société (si celle-ci est anonyme ou pas ?), la date de la fusion (si l’opération de fusion-absorption est bien intervenue après le 25 novembre 2020 ?).


D’ailleurs, toute sanction pénale pourra être prononcée et pas seulement une peine d’amende et de confiscation.


En somme, si l’opération de fusion-absorption a pour objectif de faire échapper à la société absorbée à sa responsabilité pénale, alors elle constitue une fraude à la loi.


Il conviendra de bien distinguer les deux hypothèses qui emportent des conséquences distinctes.



Anouck GASNOT


 

[1] Note explicative relative à l’arrêt n°2333 du 25 novembre 2020 (n° 18-86.955) de la Chambre criminelle de la Cour de cassation : https://www.courdecassation.fr/IMG/2020-11-25_arret_CR_note_18-86.955.pdf


[2] Dalloz étudiant « Fusions-absorption et responsabilité pénale des personnes morales : CJUE versus Chambre criminelle », 16 novembre 2016.


[3] CJUE, 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condiçoes de Trabalho, C343/13


[4] CEDH, décision du 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n° 37858/14.


[5] La société anonyme est une société de capitaux par actions à responsabilité limitée dont le fonctionnement est régi par les articles L-225 et suivants du Code du commerce. Elle réunit des actionnaires qui investissent dans le capital de l’entreprise. Elle doit être constituée de deux actionnaires minimum voire sept si elle est cotée en bourse. Pour permettre sa création, un capital minimum de 37 000 € doit être réuni. Dans une société anonyme, la responsabilité des actionnaires à l’égard des créanciers est limitée à leurs apports respectifs. Ainsi, en cas de faillite de l’entreprise, l’actionnaire ne perd au maximum que l’argent qu’il a investi.


[6] La société par actions simplifiées (SAS) est une société commerciale offrant aux actionnaires une grande liberté d’organisation, définie par les statuts. Cette société se caractérise par une grande souplesse de fonctionnement. Ce sont les associés fondateurs qui déterminent librement dans les statuts le capital social et les règles d’organisation de la société. Cette société est constituée par une ou plusieurs personnes n’engageant leur responsabilité qu’à concurrence de leurs apports (donc responsabilité des associés limitée aux apports).


[7] Aux termes de l’article 131-37 du Code pénal, les peines criminelles ou correctionnelles encourues pour les personnes morales sont : 1° L’amende ; 2° Dans les cas prévus par la loi, les peines énumérées à l’article 131-39 (la dissolution, l’interdiction à titre définitif d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, le placement sous surveillance judiciaire, la fermeture définitive des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, l’exclusion des marchés publics, l’interdiction d’émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré, l’interdiction de détenir un animal, l’interdiction de procéder à une offre au public de titres financiers, etc) et à l’article 131-39-2 (l’obligation de se soumettre sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, à un programme de mise en conformité) ; 3° En matière correctionnelle, les personnes morales encourent également la peine de sanction-réparation prévue par l’article 131-39-1.


[8] Cour de cassation, Jurisprudence, Arrêt n°2333 du 25 novembre 2020 (18-86.955)

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