En 1872, durant le congrès pénitentiaire international à Londres, le Comte A. De Foresta s’interrogeait déjà sur le fait de savoir si « It is possible to replace short imprisonment (…) by forced labour without privation of liberty[1]». Cette problématique ancienne des courtes peines demeure puisqu’en 2020, Adeline Hazan, ancienne Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, recommandait d’y mettre fin. En effet, elle affirmait que les courtes peines « ont le plus souvent pour effet de provoquer de réelles ruptures dans la vie d’une personne condamnée sans que celle-ci puisse bénéficier d’une aide quelconque en prison en raison de la brièveté de son séjour »[2].
On entend par courte peine d’emprisonnement toute peine d’une durée inférieure à un an.
En France, au 1er avril 2021, 8 792 personnes étaient détenues pour une peine inférieure ou égale à six mois, 8 686 pour une peine comprise entre six mois et un an pour un total de 65 126 détenus[3]. De telles sanctions peuvent apparaitre nécessaires pour marquer la gravité de certaines infractions, mettre en avant les règles. Elles sont surtout prononcées à l’encontre de personnes pour lesquelles les alternatives aux poursuites n’ont pas fonctionné. Cependant, en réalité, ces courtes peines d’emprisonnement produisent plus de conséquences négatives que positives, notamment en terme de réinsertion, de telle sorte qu’il est possible de remettre en question leur opportunité et leur existence.
Il apparait effectivement opportun d’interdire de telles peines au vu des effets néfastes qu’elles produisent (I). Cela semble d’ailleurs être la volonté du législateur (II).
I) Les effets néfastes des courtes peines.
Outre les conséquences non négligeables en terme de surpopulation carcérale, les courtes peines ont un effet désocialisant. Quand une personne est condamnée à une peine de prison, qu’elle soit courte ou longue, elle perd généralement son travail, son logement et peut également voir ses liens familiaux affectés du fait de l’éloignement.
Pour toutes ces raisons, il est possible d’affirmer que les courtes peines d’emprisonnement, comme toutes les peines privatives de liberté en général, désocialisent, voir désinsèrent.
Cependant, cet effet désocialisant a un impact plus important pour les personnes condamnées à des courtes peines.
En effet, ces sanctions rendent difficile la construction d’un projet cohérent de qualité où le condamné est acteur car les délais sont trop brefs. Or, si l’individu n’est pas acteur de son projet, il n’y a pas d’adhésion et donc peu de chance d’aboutir à des résultats positifs. De plus, la personne n’a pas le temps d’entamer des démarches de réinsertion efficaces, ni de suivre des soins de manière satisfaisante.
Ces difficultés sont amplifiées par la surpopulation carcérale. Le personnel n’est pas assez nombreux pour assurer une prise en charge efficace et totale des personnes placées sous main de justice, malgré ses efforts pour. De plus, en ce qui concerne les activités[4], il y a plus de demande que d’offre. Les personnes condamnées à des courtes peines se voient refuser leur accès en raison de la durée de leur incarcération trop courte. Les condamnés à des quantums plus élevés sont prioritaires car la durée de leur incarcération leur permet notamment de suivre une formation dans sa totalité. De plus, les délais d’attente avant un éventuel classement5 peuvent durer plusieurs mois, ce qui englobe généralement le temps passé en détention.
L’oisiveté règne donc pour les quantums de peines les plus bas. C’est source d’incompréhensions et de violences mais également de récidives car les sorties sont nécessairement des sorties sèches66pour les raisons qui viennent d’être évoquées.
Le rapport de M. Jacques Floch sur la situation dans les prisons françaises, (tome 1) illustre parfaitement ces conséquences négatives : « Effectuées dans des maisonsd'arrêt trop souvent surpeuplées, dans des conditions de détention insupportables, ces peines ne peuvent être perçues comme un véritable rappel à la loi. Elles sont au contraire souvent vécues par une population jeune, déshéritée et entrée dans un cycle de délinquance, comme la confirmation et l'aboutissement d'un processus définitif d'exclusion de la société. Elles cassent le délinquant sans lui donner les clés de sa réinsertion.»
Il est alors possible de s’interroger sur le sens et l’efficacité de ces peines. En effet, si la fonction première de la peine est de punir l’auteur d’une infraction, il ne faut pas oublier que la peine doit aussi permettre à la personne de retrouver de s’amender mais surtout de se réinsérer.
Si cette dimension n’est pas prise en compte au moment de l’exécution de la sentence, celle-ci sera nécessairement inutile car si la personne ne se réinsère pas dans la société, elle a de fortes chances de récidiver.
Différentes lois consacrent cette double fonction de la peine, que ce soit la loi de 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire ou plus récemment la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Malheureusement, le système actuel ne permet pas de répondre à cette double fonction. À ce sujet, Maître Francis Teitgen affirme d’ailleurs que les courtes peines ne servent qu’à rassurer la société en terme de sécurité et « n'ont aucun sens ; il n'y a pas de mécanisme de réinsertion possible dans des délais aussi courts, pas de pédagogie possible, pas de formation professionnelle possible. Par conséquent, ces courtes peines sont totalement inutiles ».
D’autant plus, ces critiques peuvent être accentuées par le fait qu’il est possible qu’une peine ne soit pas mise à exécution dès son prononcé. Cette situation est fréquente lorsque la personne comparait libre devant la juridiction de jugement. Pour les courtes peines, le parquet dispose du pouvoir de retarder leur mise à exécution. Ainsi, la peine ne peut être mise à exécution que bien plus tard, surtout en cas d’appel de la décision.
Lorsqu’un tel délai s’écoule, la personne peut s’être réinsérée dans la société en ayant trouvé un emploi, un logement, fondé une famille… Elle peut également être entrée dans une phase de désistance, c’est-à-dire de sortie de la délinquance.
Dès lors, la mise à exécution d’une peine d’emprisonnement est un facteur de désinsertion. Une mise à exécution tardive peut engendrer plus de conséquences négatives que positives, notamment en terme de lutte contre la récidive.
Or, pour que la justice soit véritablement rendue et que la décision ait du sens, les peines doivent être exécutées dans un délai raisonnable. Il s’agit d’ailleurs d’une exigence légale car l’article 707 I du code de procédure pénale dispose que « les peines, sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effectives et dans les meilleurs délais ». Le cas échéant, cela engendre un sentiment d’impunité et d’injustice.
Le législateur a conscience des difficultés provoquées par les courtes peines d’emprisonnement. Il légifère régulièrement en ce sens afin de limiter le prononcé de telles peines, notamment récemment avec la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.
II) La fin envisageable des courtes peines d’emprisonnement avec la loi de programmation et de réforme pour la justice
En vertu de l’article 132-19 du code pénal, alinéa 2, une peine d’emprisonnement ne peut être prononcée qu’en dernier recours. En effet, cet article dispose que « Toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ».
Cet article a vocation à limiter le prononcé des peines d’emprisonnement en matière délictuelle. Cependant, en pratique, il n’a que très peu d’effet car une peine d’emprisonnement peut être facilement prononcée dès lors qu’elle est motivée.
C’est pourquoi le législateur est intervenu le 23 mars 2019 en modifiant cet article pour interdire le prononcé d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure à un mois[7]. Il s’agit d’une avancée considérable dans la lutte contre les courtes peines d’emprisonnement et leurs effets néfastes.
La loi de programmation du 23 mars 2019 est une loi générale qui intéresse le domaine judiciaire dans sa globalité. Cependant, elle est particulièrement intéressante en ce qui concerne le sujet des courtes peines. En effet, elle a pour objectif de rendre la peine plus efficace, de lutter contre la surpopulation carcérale en maison d’arrêt en tendant à la suppression des courtes peines d’emprisonnement afin de redonner du sens à la peine.
Outre la suppression des peines d’une durée inférieure à un mois, la loi de programmation apporte des changements appréciables en matière d’aménagement de peine.
Aménager une peine c’est modifier sa durée ou ses modalités d’exécution pour l’adapter à la situation du condamné.
Autrefois, cette modification ne pouvait avoir lieu que durant l’exécution de la peine. Il fallait que la personne commence à exécuter pour pouvoir constater une éventuelle évolution dans la personnalité ou la situation matérielle de l’individu et donc adapter la peine en fonction de cette évolution.
Si le législateur a diversifié les possibilités d’aménager la peine, c’est en partie pour lutter contre la surpopulation pénale. En effet, si une peine est aménagée c’est pour qu’elle soit exécutée ailleurs qu’en détention. Par conséquent, la population carcérale diminue ainsi que les effets néfastes des courtes peines d’emprisonnement.
Les modalités d’aménagement de la peine depuis la loi de programmation et de réforme pour la justice
Depuis quelques années, l’aménagement de la peine n’est plus réservé à la phase d’exécution de la peine. En effet, la juridiction de jugement peut désormais envisager un aménagement ab initio, dès le prononcé de la peine. Cette possibilité concerne uniquement les courtes peines, les autres peines ne peuvent être aménagées qu’en cours d’exécution.
Il s’agit d’une possibilité, de sorte que si la juridiction de jugement ne s’est pas prononcée à cet égard, il reviendra au juge de l’application des peines de prononcer un éventuel aménagement lors de la mise à exécution de la peine ou lors de son exécution.
Sur ce point, la loi du 23 mars 2019 a également apporté d’importantes modifications. Il faut désormais distinguer les peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à six mois des peines d’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois mais égale ou inférieure à un an[8].
Pour les peines inférieures ou égales à six mois, un aménagement doit être prononcé par la juridiction de jugement, sauf impossibilité en raison de la personnalité de l’auteur ou de sa situation.
Ainsi, la juridiction de jugement ne peut pas refuser un placement à l’extérieur, une semi- liberté ou une détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE)[9], sauf impossibilité. Implicitement, cette nouveauté implique donc une motivation plus importante lors du prononcé d’une peine d’emprisonnement que lors du prononcé d’un aménagement. En effet, il faut justifier de façon précise et circonstanciée en quoi l’aménagement est impossible et ce, uniquement au regard de la personnalité et de la situation de la personne[10]. Seul un refus doit être motivé, la juridiction de jugement n'a pas à motiver l’aménagement.
Pour les peines d’une durée supérieure à six mois mais égale ou inférieure à un an, la logique est inversée. En effet, dans ce cas, la juridiction de jugement peut prononcer un aménagement de peine. Contrairement à l’hypothèse précédente, ce n’est plus une obligation mais une simple possibilité si la personnalité et la situation du condamné le permettent et à la condition qu’il n’y ait pas d’impossibilité matérielle (ce motif de l’impossibilité matérielle ne peut pas être invoqué pour les peines inférieures à 6 mois). Ici aussi, la juridiction de jugement doit uniquement motiver son refus d’aménager.
Pour les peines d’une durée supérieure à un an, elles devront être mises à exécution. Un aménagement de peine ab initio ne peut pas être prononcé, il faudra attendre que l’individu ait exécuté une partie de sa peine afin de pouvoir adapter celle-ci à d’éventuels changements de situation ou de personnalité. Il s’agit d’un changement apporté par la loi du 23 mars 2019. En effet, auparavant, il fallait faire la distinction selon que le condamné était en état de récidive légale ou non[11]. Un aménagement pour une personne qui n’était pas en situation de récidive était possible pour les peines d’une durée inférieure à deux ans, pour les récidivistes, le seuil était de moins d’un an.
La loi nouvelle est donc ici plus sévère, elle n’a donc pas d’effet rétroactif[12].
Les différents aménagements ab initio possibles pour éviter le prononcé d’une courte peine
La détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) est prévue par l’article 723-7 du code de procédure pénale et l’article 132-26 du code pénal. La DDSE est un emprisonnement de la personne à son domicile avec ses proches. Elle implique un port du bracelet électronique, géré par un centre spécialisé de l’administration pénitentiaire, afin de s’assurer que l’individu est bien à son domicile durant les horaires fixés par le juge[13].
Ce dispositif, qui nécessite l’accord du condamné au vue des nombreuses contraintes qu’il représente, ne peut être prononcé que pour une durée comprise entre quinze jours et un an.
La loi de programmation et de la justice a modifié les critères d’octroi de la DDSE. Auparavant, l’article 723-7 du code de procédure pénale prévoyait un certain nombre de critères tels que l’exercice d’une activité professionnelle, la recherche d’un emploi, la participation essentielle à la vie de famille … Ces critères ont été effacés par la loi de telle sorte qu’ils ne doivent plus être remplis pour que la mesure soit octroyée, cependant ils doivent désormais être appréciés en tant que modalité d’exécution. Ainsi, si la DDSE est plus facilement accordée, elle peut être plus facilement révoquée pour non respect des modalités d’exécution.
La semi-liberté est un aménagement qui permet à la personne condamnée de quitter l’établissement pénitentiaire dans lequel elle est écrouée pour accomplir certaines activités à l’extérieur, au cours de périodes définies par le juge.
Lorsqu’une personne est en semi-liberté, elle est dans un quartier spécifique qui permet de faciliter ses entrées et sorties en établissement. La personne doit retourner chaque jour en détention aux horaires fixés par le juge. C’est une mesure assez contraignante car l’individu doit justifier d’une certaine assiduité qui est contrôlée à la fois par le juge, le service de probation et d’insertion, le chef d’établissement et même par la police ou la gendarmerie lors de contrôles inopinés.
Cette mesure permet de rendre le temps passé en détention utile car la personne est amenée à sortir de l’établissement pénitentiaire pour faire des activités nécessaires à sa réinsertion comme rechercher un emploi, suivre une formation, maintenir ses liens familiaux, trouver un hébergement.
La loi de programmation a également modifié les critères d’octroi de la semi-liberté de manière similaire à ce qui a été évoqué pour la DDSE.
Pour finir, le placement à l’extérieur implique que la personne condamnée soit astreinte, sous le contrôle de l’administration, à effectuer des activités en dehors de l’établissement pénitentiaire. Il s’agit d’un projet mis en place avec des structures qui vont héberger la personne. Cette dernière n’est donc pas soumise à la surveillance continue du personnel pénitentiaire.
Il existe une variété de structures qui permet une orientation en fonction des profils des personnes condamnées. Chaque structure a son propre règlement intérieur et en cas de manquement, elle doit faire remonter l’incident à l’administration pénitentiaire.
En cas de non respect des horaires fixés, d’incidents, ou lorsque les modalités d’exécution de ces aménagements de peine ne sont pas remplies, le juge de l’application des peines pourra faire un rappel des obligations, modifier les modalités, suspendre l’aménagement de peine et donc prononcer l’incarcération de la personne.
Ces différents aménagements peuvent également être appliqués durant l’exécution de la peine selon les modalités qui ont été précédemment évoquées.
Ainsi, théoriquement, le prononcé de courtes peines d’emprisonnement devrait diminuer et tendre à disparaître. La pratique française semble se rapprocher de celle de l’Allemagne où les peines inférieures à quatre mois d’emprisonnement ne peuvent plus être prononcées et où on favorise les peines en milieu ouvert. Cependant, en pratique, de telles peines sont encore prononcées par les juridictions de jugement qui motivent leurs décisions.
En réalité, il semble encore un peu tôt pour dresser un juste bilan. En effet, la crise sanitaire relative à la Covid-19 a retardé la mise en place de la loi de programmation. Il faut attendre encore un peu pour espérer voir la disparition de ces courtes peines d’emprisonnement.
L'équipe LPEH
[1] « est-il possible de remplacer les courtes peines d'emprisonnement par le travail forcé sans privation de liberté ».
[2] « Repenser le système pénal et pénitentiaire », Les Cahiers de la Justice, 2020
[4] Que ce soit le travail, la formation, l'éducation, les activités culturelles, les groupes de parole...
[5] Le terme classement est utilisé en droit pénitentiaire pour désigner l'affectation d'une personne détenu à un travail.
[6] Une sortie sèche est une sortie de détention sans aménagement de peine et donc sans aucun suivi, sans encadrement, ce qui est source de récidive.
[7] Ces dispositions concernent le droit de la peine au sens large. Ainsi, sauf disposition contraire dans le code des mineurs, ces dispositions incitent à prononcer un aménagement de peine, dès lors il s'agit de dispositions plus favorables et donc d'application immédiate (Cass. Crim. 11 mai 2021).
[8] En vertu des quatre arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 11 mai 2021, ces seuils s'apprécient en tenant compte de la révocation totale ou partielle d'un sursis dont la durée s'ajoute à la peine d'emprisonnement pouvant être exécutée et en tenant compte de la détention provisoire qui est déduite de la peine d'emprisonnement.
[9] Attention, il ne faut pas confondre la DDSE en tant que peine et la DDSE en tant qu'aménagement de peine. Il n'y pas d'écrou pour la DDSE peine, c'est une peine alternative à l'emprisonnement donc le condamné ne peut pas bénéficier des mêmes droits qu'une personne écroué, notamment en ce qui concerne les réduction de peine. Dans les propose qui suivent, il sera uniquement question de la DDSE aménagement de peine.
[10] Voir Cass. Crim 11 mai 2021
[11] La récidive légale est définir comme la commission d'une nouvelle infraction dans un certain laps de temps après une première condamnation pour une infraction proche ou équivalente.
[12] Cass. Crim. 20 octobre 2020.
[13] Le juge de l'application des peines peut aussi décider de déléguer la modification des horaires au directeur des services pénitentiaires dès lors que c'est favorable à l'intéressé et que l'équilibre de la mesure n'est pas atteint.
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